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jeudi 3 août 2017

L’union fêle la Corse

Un homme d’environ soixante-dix balais entre avec sa casquette d’ouvrier des années 1936. Elle est vissée sur son crâne dans le sens des tempêtes qui agitent parfois son crâne. Son Canard enchaîné est plié sous son bras gauche et il ordonne plus qu’il ne demande au patron du Café comme chez soi :
— Tavernier, sers-moi un Vittel ! J’ai soif ! Je viens de m’engueuler avec le maire !
— Pourquoi ? Tu es furieux contre Macron ? Une fois de plus !
— Furieux contre la connerie humaine ! Mon pauvre ami ! Furieux !
— Tes parents auraient dû t’appeler Roland et pas Ours Léon ! Orlando furioso est de retour ! Je ne sais pas si la France est insoumise, mais il est un quartier de la ceinture parisienne où le drapeau rouge flotte sur la marmite ! Qu’est-ce qui peux avoir déclencher ton ire, fidèle représentant de la pensée marxiste ? L’ultralibéralisme aurait-il encore frappé ?
— Oh oui ! Je viens d’en apprendre une ! Mais une ! Tu n’as pas idée ! Laisse-moi boire !
— Vas-y doucement ! À coups de Vittel, tu risques de faire des mélanges avec le rouge !
— Tu te souviens de ces connards pour le Traité de Nice, en 2001 ?
— Difficile de les oublier ! Et puis, avec toi comme gardien de la mémoire…
— Ils avaient frappé fort, jadis !
— Jadis ? On n’est pas en train de parler d’un siècle lointain, mais du début de celui-ci !
— Dans ce temps-là, je vous le dis, il fallait privatiser l’électricité ! Et ce connard de Jospin qui a signé ! Résultat : on a donné de l’électricité issue des centrales nucléaires à bas coût aux boîtes privées et augmenté le prix pour les consommateurs du Service Public ! Tu trouves ça normal ?
— Pour sûr que non ! Ils ont augmenté à nouveau l’électricité ?
— Que nenni ! C’est pire ! Et tu te souviens quand les renseignements téléphoniques sont devenus payants ? Avec leur 118 de merde ! Il faut le faire ! Accepter de transformer un service gratuit en service payant ! Et les gens ignorent qu’il existe un 118 gratuit ! Le 118712 !
— Y a les pages jaunes et blanches sur Internet !
— Et c’est ça qui te gâte la bile ! La révolte prend son siège dans la bile jaune selon Hippocrate !
— On ne parle pas d’Hippocrate, mais d’hypocrites, camarade limonadier ! Un autre Vittel ! Il est trop tôt pour boire un pastis, siège de la bile jaune ! J’attendrais dix-huit heures !
— Le petit jaune de dix-huit heures ! Jamais en retard, contrairement au RER !
— Et tu te souviens de cet abominable Barroso, en 2010 et 2014, avant qu’il ne travaille pour Goldman Sachs ! Tout juste réélu président de la commission, il veut nous obliger à consommer des OGM !
Traité de Nice en 2001

Le patron sert le ballon de Vittel :
— Méfie-toi : deux ballons sur le terrain ! Tu vas te ruiner ! Tu vas priver tes héritiers de ta fortune !
— Mes héritiers ? J’en ai juste un et il n’aura pas grand-chose !
— Une maison au village et l’autre à Bagnolet ! C’est très touristique Bagnolet ! C’est presque aussi coté que Palma de Majorque ! Ou Ibiza, avec ses fêtes !
— Tu parles ! Une cité ouvrière fantôme !
— Et puis, il y a ta 2 CV de 1962 ! Une pièce de collection !
— Mais c’est presque ça ! N’empêche que mon neveu est allé à la plage grâce à elle durant toute sa jeunesse ! Même s’il préfère aller, à présent, avec sa BMW, pour des raisons obscures ! Ma première voiture acquise à la sueur de mon front, durant des années de labeur…
— Des années de labeur ? Tu bossais à la Sécu ! Pas à la chaîne chez Renault !
— Oui, mais dans l’opposition au pouvoir capitaliste qui exploite les malheureux !
— Dans ton cas, tu t’en es plutôt bien tiré ! Tu es plus aisé maintenant qu’au départ !
— Tu ne vas pas me reprocher d’avoir su économiser ? Mais, le problème est ici, au village !
— Pourquoi ? Le maire veut nous faire manger du maïs OGM ?
— Je parlais de Barroso à titre d’exemple ! Nous sommes dans un système qui semble ne pas supporter la gratuité ou la quasi gratuité des services ! C’est comme si on disait “IGV“ ou “utilisation des cellules souches embryonnaires“ ! Gratuit est une hérésie pour l’ultralibéral !
— Ah ! Nous en arrivons enfin au cœur du problème ! Ça va devenir clair comme de l’eau de source !
— Tu n’as pas idée à quel point ! Et en même temps, l’eau de source va s’opacifier !
— J’ai l’impression de lire Guerre et Paix ! Chaque chapitre nous fait avancer, mais il faut avaler tous les tomes ! Pour ma part, je préfère les tommes corses, avec du bon pain noir !


Ours Léon de la Sécu remet sa casquette en position de combat rapproché et reprend, tel un instituteur du temps de Jules Ferry, les rouflaquettes en moins, mais l’index pointé vers le soleil de la Raison :
— Quant à moi, j’ai toujours estimé que les communautés de communes sont une arnaque !
— J’aurais cru que c’était le contraire ! Normalement, tu devrais être favorable à mille pour cent !
— Et pourquoi je te prie ? On prend aux pauvres pour donner aux riches !
— Notre communauté de communes a permis des réalisations que notre seule commune n’aurait jamais pu effectuer seule ! Tu vois ces investissements tous les jours !
— Et quelles réalisations nécessaires pour l’émancipation des masses laborieuses ?
— Le sentier de randonnée pédestre ! Un bon entraînement pour les cortèges syndicaux !
— Parce que tu trouves que les ouvriers ne marchent pas assez ? C’est pour les rupins !
 — Les gens que je vois l’emprunter n’ont pas des pompes de randonnée de chez Prada !
— Combien d’ouvriers, alors ? Des ouvriers cuits par les hauts-fourneaux, brisés par les cadences !
— Pas des tonnes, il faut l’avouer ! Du moins, ceux qui viennent boire un coup ici, après la marche !
— Les ouvriers n’ont pas les moyens de se payer des plaisirs de riches !
— Un plaisir de riche, à un euro le ballon de Vittel ! La fortune commence si bas, à ton idée, qu’on va tous être soumis à l’ISF ! Le maire avait un billet de cinq euros en poche, quand il a été élu ! Tu crois qu’il aurait dû le mentionner dans sa déclaration de patrimoine ! Tu imagines le scandale si, le jour où il quitte sa fonction, il a un billet de vingt ! “Il a multiplié son capital par quatre“ !
— Tu peux rire ! Autre réalisation : le city-stade ! Toujours vide !
— Les gamins peuvent jouer au foot ! Moi, j’aurais adoré ça !
— Tu en vois beaucoup l’utiliser, là, présentement ?
— Tu parles ! En plein mois d’août et avec la canicule ! Rien que de prendre le ballon à la main tu sues un seau d’eau ! Le temps de le poser, c’est l’insolation ! Pas fous : ils vont à la plage !
— Un city-stade pour rêver de devenir Ronaldo ou Neymar et de brasser des millions d’euros !
— Ben oui : sortir de son milieu social et avoir une vie plus facile ! Grâce à son talent !
— Bel exemple pour la jeunesse ! Votez Mélenchon, mais rêvez d’être comme ces patrons-voyous qui palpent des brassées de millions par mois pour délocaliser !


Le cafetier ne voit pas comment satisfaire l’ancien de la Sécu :
— Dis, tu parles sans cesse d’ouvriers ! Justement, avec les délocalisations et les liquidations, il ne reste presque plus d’ouvriers ! Sauf sur les plateaux de cinéma ! Pour les décors ! Pierre Christin, le scénariste de la BD Valérian, disait l'autre jour, interviewé sur le plateau du film de Besson : "l'ouvrier parisien existe encore : je l'ai rencontré !"
— Les ouvriers n’ont pas disparu ! Ils sont sans emploi !
— Non ! Les jeunes ont presque tous le bac et ils rêvent de travailler dans des bureaux ! Pas de marner à une chaîne ! C’est une mutation sociale !
— Avec 15% de chômeurs dans le privé ?
— Et 0% dans le secteur public !
— Mais on parle de réduire les fonctionnaires de cent vingt mille !
— On pourrait augmenter les impôts pour sauver ces emplois !
— Pour exploiter les masses laborieuses ?
— Étonnant : depuis qu’il y a moins d’ouvriers en France, il y a plus de la moitié des ménages dans le pays qui ne paient pas d’impôt sur le revenu ! Les masses laborieuses : quand ta CGT organise une journée de grève et une manif, il y a plus de retraités dans le défilé que d’ouvriers en âge de bosser !
— Avec le patronat qui peut licencier comme il veut, ils ont peur !
— Dis-moi : si on en revenait à la communauté de communes ! Car des explications coulent aussi rarement de ta bouche que l’eau de la fontaine sur la place !
— Ah, l’eau ! Parlons-en de l’eau !
— Le Vittel n’est pas bon ? Pourtant, je l’ai rempli à la source de l’Umbria !
— Quoi ? Mon Vittel, c’est de l’eau d’ici ?
— Si tu prends un quart, en bouteille, c’est de la vraie ! Au détail, c’est une copie !
— Les masses laborieuses sont exploitées ! On leur fait payer ce que donne la nature !
— La nature donne du pétrole ! Pourtant, tu vas payer ton essence à la pompe, que je sache !
— Le monde court avec délectation vers l’Abîme ! Pardonnez-lui, Lénine et Marx !
— Je suis la masse laborieuse du village ! Le seul qui y travaille, pendant que les autres s’y reposent ! Même les salariés sont des capitalistes quand ils sont en vacances ! Je répartis les richesses !
— Maintenant, il va se faire passer pour Robin des Bois !
— Ou Zorro ! Mais, comme je suis le seul à travailler pour des prunes, je me répartis les biens pris aux plus riches à moi seul ! Sans ça, je vais finir à la soupe populaire !
— Oui, comme Aznavour et Pagny ! L’un est en Suisse et l’autre en Argentine !


Le patron s’adresse au plafond, où il voit sans doute les voûtes célestes, afin de s’adresser à ses anciens, ceux qui ont bâti la richesse de sa famille, avant que les temps modernes la rendent ordinaire :
— Mes aïeux, mes aïeux ! Croyez-vous qu’un jour je saurais le fin mot de l’histoire ?
— Quelle histoire ?
— Quelle histoire, en effet ! On voit bien que tu ne vas pas à la messe, toi !
— Dieu m’en garde ! J’adore ce paradoxe locutionnel chez un marxiste ! Un oxymore par le choc des idées : un communiste faisant mine de croire en Dieu ! Jamais je n’irais m’opiacer les pensées !
— Quand le curé commence à dire la messe, il va jusqu’au bout et ne se perd pas en digressions !
— Ils auraient mieux fait de faire des gîtes ruraux de cette église ! Tout cet argent investi pour entendre défendre des idées qui vont contre la santé des hommes et des femmes ! Pas d’IVG, pas de préservatif, malgré le SIDA qui menace notre jeunesse !
— Et quand le curé ne parle pas de baise, il lui arrive de citer les Évangiles ! Mécréant ! Transformer une église du XVIIIème siècle en gîtes ruraux ! Et qui y logerait-on ? Les chèvres et les ânes ! Parce que pour remplir tous las appartements d’un tel bâtiment…
— Des HLM ruraux ! Pour y loger les sans-logis !
— Lesquels ? Ceux de Bagnolet ? Parce que je me suis baladé dans le village, durant l’été comme l’hiver et je n’ai vu personne dormir dans la rue ! Reviens à cette communauté de communes ?
— Dans l’idée, ça a l’air bien ! Mais à l’usage, on constate que la plupart d’entre elles prennent aux pauvres pour donner aux riches ! Le contraire du communisme !
— Mais, bien pensé et mieux contrôlé, ce pourrait être le contraire ! Un communisme des communes !
— Allons ! Dans une société capitaliste et ultralibérale ? Tu vas voir que justement, toute cette concentration n’a qu’un but : faire payer la gratuité !
— Tu es le Baudelaire de la politique ! Un oxymore : la gratuité payante !
— Oui, mais au bout du compte, tout le village va se trouver à la source de l’Umbria !
— Là, tu m’inquiètes ! Ça ressemble au début d’un film d’horreur !
— Oui ! Pourquoi pas “La source des damnés de la Terre“ ? Tu sais comment fonctionne un syndicat ? Le syndicat d’électrification comme celui des eaux ?
— Si je savais, je serais bien le premier ! Ces trucs-là, c’est comme les impôts sur le revenu : on paie et on ne sait même pas à quoi ça sert exactement !
— Parce que tu paies des impôts, toi ? Avec ton petit forfait pour un commerce rural ?
— Si j’avais la chance d’être à Porto-Vecchio, je pourrais payer des impôts ! C’est l’intention qui compte ! Et mon intention, mon espoir, c’est de contribuer à réduire le déficit !
— Si tu étais à Porto-Vecchio, tu serais le seul à avoir un bar avec quatre clients en été ! Les autres clients iraient là où on les sert rapidement, sans attendre d’être morts à cause de la canicule !


Le patron soupire et hoche la tête, prenant à témoin ses aïeux disparus depuis belle lurette :
— Si les Parisiens se mettre à exagérer comme les Marseillais, où allons-nous ?
— Tu sais pourquoi les syndicats sont opaques ?
— Je sais pourquoi les impôts se perdent en gabegie budgétaire ! Droite ou gauche au pouvoir, les gouvernements créent des nouvelles dépenses inutiles satisfaisant leurs idéologies respectives !
— En fait, les syndicats sont gérés de la même manière que les collectivités !
— Oh la-la ! Ceux-là, tu leur donnes Microsoft, ils réussiraient à le rendre déficitaire ! Dépenses électoralistes, entre les travaux monumentaux faits pour satisfaire les amis politiques et les emplois pour permettre à ceux-ci d’être réélus afin de désigner à nouveau les dirigeants du syndicat, et peut-être même des dépenses semblables à celles que les juges supposent pour les gîtes ruraux !
— Eh bien, figure-toi que l’eau du village est en régie ! Autrement dit, la commune gère elle-même ses réseaux et son épuration ! Résultat, là où une entreprise privée te réclamerait entre cinq à sept euros du mètre cube, la commune se contente d’un forfait jusqu’à 60 mètres cubes par an pour quarante euros et en cas de dépassement, il y a une facturation raisonnable du surplus ! La source est sur la commune ! Bref, nous n’avons pas besoin de ces requins du privé !
— Pourquoi ça changerait, fils spirituel de Jean Jaurès ?
— On fait bien payer des services gratuits ! Tu comprends le sens de ma pensée ?
— Tu fréquentes trop les bords de Seine ! Ta pensée suit des méandres et on s’y perd !
— Bref, allons droit au but, en ces temps de frénésie internautique ! Une brillant esprit a trouvé que ce serait mieux de mutualiser la gestion de l’eau, de faire remonter la gestion de chaque village vers la communauté de communes et que celle-ci confie l’ensemble des communautés de communes au Syndicat de l’eau ! Résultat, en 2020, nous allons payer ce qui est presque gratuit et que nos impôts locaux ont déjà payé ! Notre bonne gestion servira à enrichir le Syndicat ou la société privée !
— Si on ne se révolte pas, on va nous tondre la laine sur le dos !



 — Ça a de quoi mettre les nerfs en pelote, ces façons de faire fondre notre bas de laine !
— Que dirait Proust ? Il ne faut pas fermer les yeux et s’endormir !
— Mais que vient faire Proust dans cette galère ?
— Marcel ne serait pas content qu’on mange les bas de laines de Proust ! rit le patron.
— Consternant ! Un jeanpierrisme ! Ça devrait être interdit par la loi ! Révoltons-nous !
— Debout, les damnés de la terre, Debout, les forçats de la faim !
— Oui ! Entonnons tous en cœur :

Ouvriers, paysans, nous sommes 
Le grand parti des travailleurs, 
La terre n'appartient qu'aux hommes, 
L'oisif ira loger ailleurs.

— Sans ça, quand nous crèverons de faim, sous le bec rapace des sociétés privées, nous n’aurons même plus les moyens de nous payer le luxe d’avoir l’eau à la bouche !
— Bien dit, camarade bistrotier ! Sers-moi un verre d’eau, tant qu’il est accessible !
— Oui, avant qu’ils privatisent la source de l’Umbria ou celle de Bocca Nera ! Là, je serais sur la paille, où il me faudra mettre du vrai Vittel dans les ballons, parce qu’il sera moins cher !
— Un cauchemar !
— Un cauchemar…

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