Rechercher dans ce blog

vendredi 4 août 2017

Le repas du 15 août


Monsieur Salmigondi, le juge en vacances, est arrivé au Café comme chez soi. Assis sur une chaise, dans un coin, près du bar, le patron dort. Il s’est assoupi en raison de la chaleur et des vapeurs digestives. Un peu trop de rosé de la cave coopérative du coin et la canicule qui continue de sévir.

Salmigondi lit le journal, en attendant patiemment, histoire de voir combien de temps va durer cet intermède assez inhabituel. Une bonne demi-heure passe ainsi, tandis que le cafetier se trouve au pays des rêves.


Puis, enfin, il sort des bras de Morphée, bâille et s’étire, comme au matin, après un long somme :
   Ouah ! Cette sieste m’a tué !
Il perçoit la présence du juge en vacances et se reprend, tentant de sauver la face :
   Oh, je crois que je me suis assoupi quelques secondes !  
   Quelques secondes ? Une bonne demi-heure montre en main !
   Il ne fallait pas me laisser dormir autant ! Après, je ne dors pas la nuit !
   C’est toujours ça de pris ! Si vous ne dormez pas à cause de la canicule ! Quand je pense que Trump ne veut pas honorer les accords de Paris, alors que cette température sera la norme des années à venir ! Et ne pas faire d’efforts sérieux ne peut que faire empirer les choses !
   Il ne s’est rien passé de spécial, pendant que je dormais ?
   Un type un peu costaud, avec une barbe et un accent corse est entré et a préféré vous laisser dormir, puis il a ouvert votre caisse, a pris les billets de cinquante euros, disant que vous les lui deviez !
   Mais, je ne dois de l’argent à personne ! Pourquoi… Vous me faites marcher : je ne laisse jamais les billets de plus de vingt euros dans la caisse ! Je dormais assis dessus !
   Vous êtes assis sur Fort Knox ! Dîtes, en venant, j’ai vu des affiches sur la place !
   Ah, c’est sûrement pour le repas du 15 août !
   Le repas du 15 août ? Un restaurant ?
   La Vierge est la patronne de la Corse ! C’est jour férié ! Dans le temps, le comité des fêtes faisait une fête sur la place de l’église et on vendait de l’alcool, on dansait, avec orchestre ou sono !
   Et maintenant, on fait un repas ? Pourquoi avoir laissé tomber la fête !
   Je vous explique ! Mais, vous êtes le touriste : pas le juge ?
   Motus et bouche cousue ! On parle d’un temps ancien qui bénéficie de la prescription, hein ?
   Tout à fait ! Un temps très lointain ! Les gendarmes sont passés après une petite bagarre entre des jeunes qui avaient… trop fêté la Vierge, à coup de whisky ! Mais, ils avaient bu ailleurs !
   Ça va de soi ! On fait toujours les bêtises ailleurs…
   Vous avez remarqué, hein ?


Le cafetier parle à Salmigondi comme si la Police Secrète de Poutine écoutait, - autrement dit, il confie dans un murmure, suivant l’adage des temps anciens “Les murs ont fes oreilles“ :
   Comme il n’y avait pas eu de blessé, simplement une plainte d’un des jeunes…
   Qui avait bu ailleurs !
   Ils avaient bu dans un bar avant de monter ici ! Où, je ne saurais vous dire !
   Et puis, vous n’êtes pas policier…
   Et pourquoi deux jeunes étrangers au village que je ne connaissais ni des lèvres, ni des dents, seraient-ils venus se confier à un étranger ! Je vous le demande, hein ?
   Pourquoi, hein ? Vous n’êtes pas du genre à poser des questions pour vous occuper durant vos heures de creux dans la journée, car il n’y a pas foule continue, ici, malgré la saison ! Bref, les gendarmes se seraient bornés à ne faire qu’une enquête de routine !
   Plus que ça ! La carotte et le bâton, comme toujours, avec les ânes qui rechignent à comprendre ! Ils ont dit au président du comité que s’il y avait eu des blessés, ou quelqu’un qui venait à être contrôlé positif, lors des barrages que le préfet avait demandé de mettre en place, ou encore quelqu’un qui se tuait dans un accident ! 
   Que des bagatelles, quoi ! Le petit traintrain quotidien !
   En gros, si quelqu’un se faisait choper ivre, et qu’il vienne à dire, - une supposition, hein ? -, qu’il avait bu à la fête, le président risquerait une peine de prison s’il y avait des morts ou des blessés graves, et une amende personnelle de sept mille euros, si j’ai bien compris !
   Vous avez assez bien compris ce qu’on ne vous a jamais confié ! Je parie que désormais, suite à cette annonce, on se battait plus pour ne pas être président que pour l’être !
   Ce n’est rien de le dire ! Songez que les jeunes avaient toujours cherché à pousser les “vieux“ du comité vers la sortie, comme de partout, - par exemple, pour la mairie et pour le boulot -, et d’un coup, ils étaient d’accord pour n’entrer que dans le comité, à des postes secondaires, mais ils voulaient que le président reste en place ! Ringard hier, il avait été soudainement touché par la grâce divine !
   Et puis, si quelqu’un devait payer, mieux valait que ce fût un autre, n’est-ce pas ?
   Je pense que cette pensée égoïste se trouvait à l’origine de ce soudain altruisme !
   Donc, la fête a continué avec une nouvelle équipe ?
   Seulement, le président n’avait pas envie de se retrouver au tribunal car, dans une autre fête, il y avait eu un jeune qui s’était tué en rentrant en voiture et le président avait morflé !
   C’est le genre de chose à tailler les ailes aux vocations présidentielles !
   S’il y avait des lois aussi contraignantes pour les hommes politiques, nous subirions moins de gugusses se présentant à la présidentielle ! Même plus besoin de primaires pour nous gaver !


Salmigondi demeura silencieux un petit moment, avant de dire :
   Remarquez, avec les journalistes qui commencent à éplucher la vie et les dérives éventuelles des candidats, il risque d’y avoir moins de candidats !
   On peut regretter qu’on ait plus parlé d’affaires que de programmes !
   Pourquoi ? D’ordinaire, les candidats ont pour habitude de respecter les programmes ?
   Ouh ! Il faut remonter loin en arrière pour voir un tel miracle ! Très, très loin !
   Mais les affaires qui éclatent juste au moment des élections !
   La République est une forme de tyrannie, par moments ! Même si, comme le disait Churchill, “La démocratie est le pire des systèmes, à l'exclusion de tous les autres“ !
   C’est une galéjade juste pour dire que la démocratie n’est pas parfaite, mais mieux que le reste !
   Ceci étant considéré, que s’est-il passé au niveau de la fête ?
   Il n’y en a plus eu, car les jeunes ne voulaient pas d’une fête sans alcool et personne ne voulait prendre le risque d’une fête avec alcool ! Alors, il y a eu des concerts vocaux, sans grand succès, et, finalement, le succédané, l’ersatz de fête du 15 août a été un repas sur la place de la fontaine !
   Celle-là même ! Des touristes viennent pour la prendre en photo !
   Je ne sais pas si c’est la seule particularité vedette du village !
   Oh, il y en a, vous savez ! On avait même des personnages très particuliers ! Des anciens de la Coloniale qui nous narraient des histoires avec des fosses marines qui parvenaient à une telle profondeur qu’on devait pénétrer dans le magma, des routes avec des lignes droites de cent kilomètres ! Des caractères trempés dans le siècle des guerres et à la langue bien pendue, mais au cœur en or !
   Je vois : le genre de personnes dont on rit quand ils sont là et qu’on regrette quand ils ne sont plus !
   Je n’aurais pas pu dire mieux ! Vous auriez adoré ces personnes !
   Et ceux de maintenant ? Il y a bien des personnages, non ?
   Oui, quelques-uns, mais qui n’ont pas la même démesure ! Un siècle de gens trop raisonnables, trop raisonnés, ou alors des emmerdeurs de la pire espèce, des inspecteurs des travaux finis, des puits de science dont nul, en haut lieu, ne juge pourtant utile de faire appel à leur savoir !
   Et ce repas, alors ?
   Un succédané, un produit de substitution !


Le locataire du gîte rural sent que, d’après son intonation, le cafetier émet des réserves :
Quelque chose vous chiffonne dans ce repas ?
Un repas représente certes l’occasion de se réunir pour marquer la fête !
Mais, il y a un petit quelque chose qui vous gêne, n’est-ce pas ?
Un repas avec des assiettes en papier, des loupiottes faiblichonnes, un self-service, bref, ce n’est pas vraiment une fête ! Bon, quand il y avait une sono en supplément, de la danse, ça peut aller ! Mais une fête du village avec un seul repas, c’est tristounet ! Sans critiquer, car c’est déjà ça !
Je vois ! Un manque d’ambition par rapport à l’événement !
Une nostalgie des fêtes d’antan ! Fut une époque où l’on voyait tout le village préparer des chapeaux en papier, à l’approche du 15 août, et le soir de la fête, tandis que les hommes avaient préparé la place de l’église, avec les canisses pour clôturer et empêcher le vent frais de la nuit d’incommoder les danseurs ! Le vent frais, ça fait rêver avec cette canicule !
  Vous en avez la larme à l’œil ! Les souvenirs sont des parfums évanouis que le temps nous a volés !
Et puis, voyez-vous, monsieur Salmigondi, les gens se contentaient de peu ! Les orchestres avec chanteurs demandaient moins qu’une sono de mauvaise qualité ! On buvait du champagne, avec des cuillers, - vous savez les biscuits ? - ! La place était pleine et les jeunes ne s’agglutinaient pas au comptoir, à aligner les bouteilles de whisky, comme de pitoyables trophées !
Des trophées qui ont condamné l’esprit de la fête ! C’est bien le malheur !
— Parfois, je me reprends à espérer qu’une génération nouvelle relancera la fête avec des bals sans alcools distillés et avec le simple but de s’amuser en dansant jusqu’à quatre heures du matin !
  Dans le fond, ce n’est pas le repas que vous détestez !
En effet : ce que je déteste, c’est ce qu’est devenu le village ! Un agglomérat d’individualités, d’égoïsmes et une absence de communion dans la fête !
Dîtes, patron ? Ce n’est pas l’heure du pastis ? On peut boire sans crainte, non ? On rentre à pied !
Qu’est-ce que je vous sers ? Une tomate ? Et puis je vais sortir des olives un peu pimentées !
Trois pastagas ! Pas plus ! Juste pour retrouver l’ivresse du temps perdu !
Proust n’avait pas le pastaga pour le retrouver ! Dans des madeleines, ce n’est pas pareil !
   L’esprit des étés d’antan se trouve au fond d’un verre avec du jaune !
  Pas trop ! Juste de quoi se sentir rajeunis et légers, munis des pieds ailés de Mercure !
Méfiez-vous ! Parfois, au fond d’un verre, on ne trouve que la nostalgie triste des âges envolés !
— Dieu nous en garde ! Le verre deviendrait alors la boîte de Pandore ! Il ne faut pas que tous nos souvenirs s’échappent de la boîte et qu’au lieu de l’Espoir ne reste que la Tristesse !
— Cela ne saurait arriver si nous avons des conversations joyeuses !
— Oui : devisons gaiement ! Et que l’esprit des fêtes d’antan habitent nos esprits !
Salute ! 
E pace indè i nostri cuori !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire