Ce matin-là, monsieur Salmigondi se réveille en
sursaut. Il avait mal dormi, la nuit précédente, invité chez le maire de la
commune qui avait tenu, la veille au soir à fêter le bon déroulement de l’expo.
Mais, fallait-il un prétexte vraiment sérieux pour faire un bon gueuleton sur
la terrasse, à présent que la canicule se trouvait libérée de tout reculoir et
pouvait donc entamer une retraite bien avant l’âge ?
Le maire l’avait incité à manger un fromage de
chèvre du village, dont le moins qui se pouvait dire était qu’il picotait les
papilles. Non content de cela, il l’avait invité à se resservir, ce dont le
juge se serait passé, mais, n’osant se montrer impoli envers un charmant hôte,
il avait cédé et mangé à nouveau ledit fromage.
Bien sûr, pour soulager les picotements, il
avait bu force verres de vin rouge. Non content de ça, malgré les yeux en
soucoupe de madame Salmigondi, il avait accepté un café à vingt-trois heures,
oubliant la plus extrême prudence. Pour finir, il avait eu droit à une liqueur
de myrte maison, - délicieuse au
demeurant -.
Résultat, il ne s’était endormi qu’à une heure
du matin, pour se réveiller environ deux heures plus tard, et n’avait retrouvé
le sommeil que vers cinq heures du matin et des poussières, tandis que bêlaient
les chèvres que son épouse s’était chargée de tenir éloignée des voitures,
comme chaque matin.
À onze heures et quart, il dort à poing fermé, à
présent que le fromage de chèvre a fini de gambader dans ses intestins,
pourchassant la salade verte tandis que le vin et la liqueur ont cessé de lui
lancer des pointes au niveau de la vésicule. Quant au café, accepté de façon
irréfléchie, ses effets excitants se sont évanouis.
À onze heures et seize minutes, un coup de
tonnerre retentit soudain et réveille monsieur Salmigondi. Foudre, fenêtres
ouvertes. Il bondit, tel un soldat sur le pied de guerre et court dans la
maison vide, afin de tout fermer. Dehors, il pleut. Il pleut enfin. Est-ce la
fin de cette fichue canicule ? On peut l’espérer.
Une fois toutes les ouvertures de la maison closes,
- non pas que la maison soit une ancienne
maison de tolérance, car les femmes du village ne l’auraient jamais
toléré ! -, il se recouche et tente de s’endormir. En vain. Il écoute
et il lui semble que la pluie a cessé. Il n’entend plus le tonnerre gronder ni
la foudre retentir tel une canonnade.
Comprenant que le sommeil s’est enfui, sitôt le
premier impact de foudre, le vacancier se relève et comptabilise ses heures de
sommeil. Il a eu son compte. Dans le désordre d’une digestion pénible, car il a
pour habitude d’éviter certains aliments le soir. Sauf, lorsqu’il est invité,
car ses parents l’ont bien élevé, hélas pour lui.
Son épouse est certainement chez une voisine, en
train de discuter et de boire le café. Elle fait chaque matin, ce qu’il répète
chaque soir, vers dix-huit heures, soit au Café comme chez soi, soit chez des
voisins en vacances.
Il se fait donc un café, après avoir bu le thé
vert qui est froid et avalé quelques canistrelli achetés à un vendeur ambulant
assez particulier. Ils sont bons et… “sans ingrédients“. Il compte ramener un
sachet vide et le montrer à des amis pour leur narrer cette histoire
extraordinaire.
À présent, l’estomac plus plein, il peut avaler
son expresso, afin de quitter les vapeurs du sommeil, d’autant qu’il a les tripes
retournées par des aliments dont il sait qu’ils lui sont contraires, bien qu’il
en raffole.
Sa tasse en verre à la main, il va vers la porte
et l’ouvre. Plus de pluie, plus d’orage perceptible ; au contraire, un
beau soleil rayonne à nouveau. Pourra-t-il aller à la plage cet
après-midi ? Nul doute que son épouse aura envie de prendre la voiture et
d’aller faire les courses sans l’avoir sur le dos. Donc, pas de plage.
Après un repas léger et la sieste de treize
heures, il bouquine et, étrangement, s’aperçoit que c’est lorsqu’on a le plus
de temps qu’on en trouve le moins pour lire les romans qui traînent sur la pile
de lecture, laquelle ne peut fondre, en raison du travail qui accapare l’esprit
et le rend peu disponible à la lecture.
Il comptait lire huit romans et n’en a fini
qu’un seul. S’il parvient au second, ce sera un miracle ! Comme à chaque
été. Il a beau changer d’endroit, c’est la même rengaine. S’il fait beau, il va
à la plage et à l’apéro le soir. Le matin, il se colle devant son PC, afin de parcourir
ses courriels.
Il lit ses quotidiens sur son mobile, buvant des
cafés et profitant d’un exercice extraordinairement jouissif : le farniente. C’est la plus grande
invention de l’homme, de toute l’histoire de l’Humanité ! Mieux que la
roue, mieux que l’écriture, mieux qu’Internet ! Ne rien glander du
tout ! Bayer aux corneilles…
Lopes qui fait le paon
Sur le coup de dix-sept heures, il y a du vent
frais qui balaie des feuilles sèches. Néanmoins, monsieur Salmigondi sort,
allant où ses pas le conduisent, sans plan préconçu. Le voilà qui, à force de
ne rencontrer personne se retrouve au Belvédère. Monsieur Lopes est là et il
fait le joli cœur avec Marie-Pierre.
Le juge doit être pestiféré car, à peine il
pointe le bout de son nez, voilà que Lopes se taille. Salmigondi sent ses
vêtements. Il a mis son parfum. Il s’est brossé les dents : pas d’haleine
de chacal, en dépit du fromage d’hier au soir. Aurait-il eu le simple mauvais
goût d’empêcher Lopes de faire le paon.
L’oiseau se fait rare et repart en ayant refermé
sa queue ocellée, le roué personnage. Il salue au passage le juge, d’un signe
de la tête.
— Je l’ai chassé ? On aurait dit qu’il me fuyait
comme la peste !
— Je crois qu’il veut faire le joli cœur, sans
chercher plus qu’à plaire ! Mais, trop souvent, la chose est barbante !
N’hésitez pas à venir exorciser les lieux !
— Drôle de temps ! On ne savait plus si on devait
se préparer pour la plage ou pas ! Soleil, pluie et tonnerre, re-soleil,
vent et nuages, re-soleil et re-vent ! Tant et si bien que j’ai fini De la
Terre à la Lune ! Heureusement que nous avons un paratonnerre ici !
Je connais un village où ça n’est pas le cas !
— Ils n’ont jamais songé à en installer ?
— Si seulement c’était ça, ce ne serait que de
l’inconséquence ! Mais non : la chose s’avère bien pire que ça et
difficile à résumer en deux ou trois mots !
— Depuis que l’on m’a conté l’histoire du tracassier
des prétoires, je pense que je suis entré dans une dimension parallèle !
Entrer dans le monde des petits villages revient à pénétrer dans des pays où la
Loi est pervertie et où les administrations censées défendre l’intérêt général
vont à l’encontre de celui-ci !
— Vous ne croyez pas si bien dire, cher
monsieur !
— Vous me faites craindre le pire !
— Figurez-vous qu’un personnage a acheté un beau jour
un terrain contigu à sa maison, avec une parcelle qui allait au-delà de ses
espérances !
— Ne parlez pas par énigme ! C’est trop facile
pour vous qui savez !
— Ce personnage peu reluisant se rendit compte que le
paratonnerre communal érigé avec l’accord de l’ancien propriétaire se trouvait
sur une éminence qui se trouvait sur la fameuse parcelle vendue avec celle qui
l’intéressait !
— Vous avez dit que le terrain était contigu à sa
maison…
— C’est là toute l’absurdité du sieur : ce
paratonnerre protégeait la maison dont il envisageait de faire un gite
rural ! Il protégeait donc cette maison, mais pas celle qu’il possédait à
l’autre bout du village, car un autre paratonnerre se trouvait à une centaine
de mètres d’un transformateur électrique !
— Donc, sa maison destinée à la location se trouvait
protégée par un paratonnerre ?
Lequel fonctionnait depuis une trentaine d’années et
donnait pleinement satisfaction ! Moins d’un siècle auparavant, il y avait
plusieurs fois des morts, car la foudre tombait souvent autour de cette
éminence rocheuse ! La municipalité ayant appris qu’il avait fait
l’acquisition de ce rocher, avait engagé une enquête d’utilité publique,
laquelle avait conclu à l’utilité du paratonnerre !
Marie-Pierre rit de la confiance du juge à
l’égard instances humaines à choisir le meilleur en toutes circonstances. Le
bon sens est la chose sur Terre la plus partagée et, à force de la partager, la
part de chaque héritier diminue. Comme en toute Raison, la monnaie est sans
cesse frappée au coin du bon sens, cette monnaie se déprécie, alors que la
sottise et l’erreur placées en actions présentent plus d’intérêts. De sorte que
le bon sens a toujours deux trains de retard sur l’erreur et la routine.
— Le personnage en question a fait intervenir un
expert qui certifiait que le paratonnerre était nocif pour celui qui vivrait à
proximité, en raison d’ondes électromagnétiques que seul ledit expert avait
décelé ! Pour une raison que nul être doué de raison ne saurait expliquer,
le Sous-préfet a rejeté les conclusions de l’enquête d’utilité publique et a
privilégié l’intérêt d’un particulier à l’intérêt général, estimant que la
foudre était moins nocive pour la santé que les prétendues ondes de l’expert !
— Mais, c’est totalement aberrant ! bondit le
magistrat.
— Il ne faut jamais douter de la faculté de l’homme à
dépasser les limites de la déraison ! Il n’y a pas que la Justice qui soit
aveugle !
— Et les habitants du village en sont restés là ?
— Oh non ! Pétitions au préfet, au Premier
Ministre ! Il semblerait que, suite à une pénurie d’encre, les deux
n’aient pu répondre !
— La municipalité n’a rien fait ?
— Tribunal Administratif, mais sans résultat !
Même si un Sous-préfet est stupide, il ne convient pas de déjuger le vassal de
l’État !
— Mais, je suis tombé au royaume du Père Ubu !
— De plus, le personnage qui faisait ça uniquement
pour des raisons de pulitighella, allait partout clamant qu’on voulait le
déposséder !
— Billevesées ! Balivernes ! Coquecigrues !
Fadaises ! L’expropriation permet de délimiter une parcelle pour le
paratonnerre et un chemin d’accès ! Ensuite, le reste de la parcelle est
restituée, et la surface nécessaire à l’édification fait l’objet d’une
indemnisation ! Cet individu est un menteur de la pire espèce !
— Bref, le foutriquet avait démoli le paratonnerre,
avant même que le Sous-préfet n’ait pas tenu compte de l’enquête d’utilité
publique ! Il a été condamné à payer les frais de remontage, sans pour
autant avoir été sanctionné…
— Je veux, mon neveu : destruction de bien
public !
— Impossible de remonter un paratonnerre bousillé et
non restitué ! De plus, comme il a dit qu’il n’avait pas les moyens de
payer…
— Il a bénéficié d’un étalement pour les
paiements ! J’ai déjà vu ça quelque part !
— Aussi, lorsque la foudre tombe ici, bénissez le ciel
que nous n’ayons pas eu un sbaticu [1]
de cette engeance ! Dans l’autre village maladettu [2],
lorsque la foudre tombe, ce sont des télés, des antennes paraboliques qui
morflent ! Et encore, ils ont de la chance : pas encore un seul mort,
pour la folie d’un seul homme !
— Eh oui ! Il y en a qui, à défaut de
compétences, ne savent que s’affirmer par leur faculté de nuisance ! Si
seulement la foudre pouvait le frapper !
— Oh ! Comme vous êtes violent, soudain !
— Il paraît que l’éclair fout droit les tordus !
[1] Sbaticu : Imbécile, crétin…
[2] Maladettu : Maudit, excommunié, infortuné, abandonné de Dieu.