Monsieur Salmigondi, le
client d’un gite rural, celui-là même qui avait interrompu la chanson de
Charles Rocchi d’un intempestif “Olé“, revient au Café comme chez soi.
— Bonjour,
vous avez pu entendre le CD en entier ?
— Ah
ben oui ! Je ne suis pas toujours importuné par des clients qui veulent
ceci ou cela !
— Importuné ? Je croyais qu’ils vous faisaient
vivre ?
— Parce que vous croyez que j’ai besoin de vingt à trente
clients pendant un mois seulement ? Heureusement que non ! Qu’est-ce que
je ferais pour manger le reste de l’année ? Parce qu’en hiver, quand on
arrive à être quatre pour faire la belote en week-end, nous sommes
contents !
— Vous avez pensé à aller mettre un cierge à l’église
pour ce miracle ?
— Ma parole, vous êtes comme les frelons
asiatiques : plus piquants que les frelons habituels ! Entre vous et
monsieur Brun, - enfin Lopes ! -, j’ai droit à des piques plus
prononcées !
— Donc, vous êtes contents en hiver, quand vous parvenez
à être quatre !
— En plus, ça me coûte plus d’électricité que ça ne me
rapporte en boissons ! Un verre d’eau ou un pastis, pour trois heures
d’EDF, ça ne fait pas vivre !
— Ce n’est pas comme en été, où il fait chaud et où les
frelons viennent boire, manger des glaces et consomment tout ce qui dégage de
bonnes marges !
— Il faut bien reconnaître que je fais plus en un mois
d’été qu’en onze d’hiver !
— Vous avez de drôles de saisons au village !
— Je disais ça en termes d’activité ! Quand je fais
les comptes en décembre, j’ai tout juste équilibré ! Parfois, je pars même
deux mois en balade sur le Continent !
— Vous allez en vacances voir d’autres coins de France !
Des coins où les cafés travaillent plus d’un mois ! Et vous allez dans des
hôtels à Paris et dans les régions touristiques ?
— À l’hôtel ? Mais, vous voulez me ruiner !
Non, je m’invite chez des clients ! Une semaine par-ci, une semaine
par-là ! Histoire de ne pas les gêner, quand même !
— On reconnaît bien là votre tact habituel ! Et vos
joueurs de belote, comment font-ils ?
— Pendant ces deux mois, ils laissent tomber la pluie et
venir les brumes qui mangent les collines, - vous savez quand on a l’impression que le monde se résume au village
seulement !
— Il y a besoin des brumes pour ça ? Curieux !
— Des frelons asiatiques, cette année ! Ils ont dû
arriver avec des arbres, ma parole ! Pendant ces deux mois, au lieu de
perdre de l’argent, curieusement j’en gagne !
Le patron regarde monsieur Salmigondi et lui demande :
— Salmigondi, ça n’est pas corse, je me trompe ?
— Ça vient d’Italie ! Ma famille est originaire de
Toscane !
— C’est beau la Toscane ! Mais, bon, c’est
l’Italie !
— Vous dîtes ça avec une pointe de dégoût…
— Ben, c’est l’Italie ! Vous savez comme on appelle
les Italiens, par ici !
— Les Ritals, je suppose !
— Non ! Les Lucchesi ! Quand ça n’est pas les
Lucchesacci ! Les sales Lucquois !
— Pourquoi ce dédain dans l’intonation ?
— Quand on voulait faire des travaux mal payés et
risqués, à cause du paludisme, dans la plaine, on faisait venir des ouvriers de
Lucques, région pauvre ! Il en est mort des tas !
— Et vous les méprisez pour ça ?
— Non ! La Corse a été occupée pendant des siècles
par les Génois qui nous prenaient des impôts…
— Et comme vous n’aimez pas les payez…
— Qui aime payer des impôts quand on ne voit pas de
travaux faits avec cet argent ? Après l’épisode sanglant des Génois, il y
a eu 39-45 et les armées fascistes de Mussolini qui ont occupé l’Île et qui
étaient pire que les soldats allemands de la Wehrmacht ! Ils ne voulaient
pas les oiseaux, qu’ils disaient : ils voulaient le nid ! Alors, pour
les anciens, l’Italie…
— Et la Renaissance, les arts, l’époque romaine ?
— Vous n’allez pas me faire un cours d’histoire sur
l’Italie ?!
Salmigondi
Monsieur Salmigondi montre le fanion de la Juve accroché
au-dessus des bouteilles et demande :
— Mais dîtes ? Je vois le fanion de la Juventus de
Turin ! C’est en Italie, que je sache, le Piémont ?
— C’est pas pareil ! C’est le foot ! Et le
foot, c’est sacré ! Ici, on est pour la Juve ! Avec Platini et
Zidane ! Trézéguet, Deschamps ! Et j’en passe !
— Et le village d’à côté aussi ?
— Non : ils sont pour l’AC Milan ! À Ajaccio,
ils sont soit pour Le Barça, soit pour le Real !
— Et pas de clubs français ?
— On aime bien l’OM ! Le bel OM de Tapie et de la
Ligue des Champions ! Quand ils avaient perdu à Bari et gagné à Munich !
— Et le PSG ?
— Ne parlez pas de Paris par ici ! Monaco, d’accord !
Mais surtout pas Paris ! L'argent des pétrodollars et des émirs!
— Vos cousines et vos autres parents ne sont pas à
Paris ?
— Parce que vous croyez qu’elles vont voir les
matchs ?
— Je ne crois plus rien, depuis que j’ai mis les pieds
ici !
— Dîtes Salmigondi, ça sonne un peu comme
Salamalecs !
Le touriste fait celui
qui n’a pas entendu la remarque désobligeante. Il change de sujet :
— À propos, je vais vous dire un truc sans rapport !
C’est pour ça, d’ailleurs, que je commence par “À propos“ : pour créer
l’illusion d’un lien quelconque entre ce que nous disions et ce que je dis !
— Là, vous déblatérez ! Votre propos manque de
clarté !
— Je vais vous éclairer un brin ! J’ai parlé en bien
de monsieur Dupont-Latour à monsieur Ferrandi ! Il n’a rien dit, m’a
tourné le dos et il est reparti chez lui, en martelant le goudron des talons, tel un adjudant remonté comme une horloge !
— Vous m’étonnez ! Pensez un peu : Dupont-Latour lui a fait un
procès parce que sa terrasse lui faisait de l’ombre !
— Il habite juste à côté, au rez-de-chaussée ?
— Non ! Mais, il a dit qu’il comptait faire une
maisonnette à louer à cet endroit ! Le terrain riquiqui est à lui !
— Et alors ?
— Alors, il a gagné en première instance ! Il a joué le
pauvre continental auquel les Corses faisaient des crasses et le tribunal a
plongé tête baissée dans le piège !
— Je pense que ça ne s’est pas arrêté là ?
— Il a perdu en appel !
Mais, il s’est pourvu en cassation ! De plus, au Tribunal Administratif il a attaqué la mairie qui avait délivré le permis de construire pour la
terrasse ! Au prétexte que le maire et le premier adjoint sont parents
avec monsieur Ferrandi ! Ils le sont, mais le permis était réglo !
— Il a perdu, bien sûr !
— Au tribunal administratif de Bastia, la commune a été
condamnée à verser 20.000 euros ! Ne
comptez pas sur la justice de celui dont l'esprit manque de justesse !
— C’est un code Corse ou les juges ne savent plus
lire ?
— Je ne saurais vous dire si ce sont les juges qui sont
nuls ou si c’était l’avocat de la commune qui a traité le dossier par-dessus la
jambe ! Mais le résultat était là ! Il a fallu payer ! La justice serait une chose merveilleuse
s'il n'y avait pas les hommes !
— Ils ont fait appel ? Mais, c’est vrai qu’il
fallait raquer, en attendant ! Dîtes : vingt mille euros, ça doit
représenter un sacré trou dans le budget d’une commune comme celle-ci !
— Presque 40% ! Ce n'est pas un grain d’orge dans la gueule d’un
âne ! Entretemps, contre Ferrandi, il avait fait appel à la cour Européenne des Droits de
l’Homme, laquelle a rejeté sa requête !
— Donc, la mairie de son côté a fait appel et tout s’est
arrêté !
— La justice va sûrement mais d'un pas lent ! C’est bien
là tout le problème ! Qu’un jugement ait été rendu à tort ou sur la base
de documents truqués, et il faudra du temps pour rectifier l’erreur !
— On croit rêver ! Non, pardon :
cauchemarder !
— Rassurez-vous, au bout de deux années, la cour d’appel a
inversé le jugement, donné tort à Dupont-Latour, mais a condamné la mairie à
verser sept cents euros au titre de l’article 700 ! Dupont-Latour devait
restituer les vingt mille euros !
Salmigondi sourit : les choses rentrant dans l’ordre
étaient faites pour lui plaire. Un penchant naturel.
— Voilà qui est mieux et qui
devrait arranger les affaires de la municipalité, côté finances !
— Parce que vous croyez, qu’après
deux années, il lui restait un euro de l’argent reçu ! Il a demandé à
rembourser sur plusieurs années, à tant par mois ! Et il s’est pourvu en
cassation !
— Il a tant d’argent que
ça ?
— Il a filé l’argent de la
commune à ses enfants ! Et ils paient les frais de justice ! Vous
pigez ?
— Je comprends que monsieur
Ferrandi ne veuille pas entendre parler de lui ! Et les gens du coin
supportent cet esprit tracassier des prétoires ? Pas de soucis avec les
nationalistes ?
— Mais, il est nationaliste !
Comme beaucoup de personnes qui viennent d’arriver en Corse ou ceux qui, à
moitié corses et élevés sur le Continent, tentent de se rendre plus corses qu’ils
ne sont !
— Mais monsieur Dupont-Latour a
un accent parigot !
— Je vous rassure quand il parle
un corse approximatif, il a le même accent parisien ! Au départ, ça nous
faisait sourire ! Quand il s’est mis en tête de nous faire la leçon, on l’a
trouvé moins drôle !
— Et il est nationaliste à fond
les manettes ?
— Il a appelé sa fille
Chiarastella ! Claire Étoile, comme
l’avait jadis traduit en français des officiers d’État-Civil peu inspirés !
Chiarastella Dupont-Latour ! Sans rire !
— Et il en veut particulièrement
à monsieur Ferrandi ?
— Oui ! Quand il avait attaqué monsieur Albertini, pour son garage qui, selon lui, empiétait sur son terrain, Ferrandi avait témoigné en faveur d'Albertini ! Il avait donc une dent contre lui !
— Pour monsieur Albertini, ça
avait été le même cinéma ? Première instance, appel et cassation ?
— Le menu habituel ! Et il
avait attaqué la mairie précédente ! Il finit de rembourser l’argent qu’il
avait touché indûment ! La vie est un éternel recommencement !
Avocats d'après Daumier
Salmigondi réfléchit. Un truc lui travaille le ciboulot :
— Vous pensez que monsieur
Ansidéi, mon loueur, devrait s’inquiéter ?
— Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il
a encore trouvé ?
— Il dit que les eaux pluviales
de la maison causent des dégâts à son terrain du dessous !
Le patron du café prend son portable et appelle :
— François ! Alerte rouge !
Dupont-Latour va t’attaquer pour les eaux pluviales de ton gîté rural !
Préviens la mairie qu’ils consultent leur avocat ! Salmigondi l’a entendu
dire ça !
Il repose son téléphone sur le comptoir :
— Mieux vaut faire de petits
aménagements que de rentrer dans des frais de justice ! Ce qu’on économise
en avocat permet de faire des aménagements et d’éviter de se gâter la bile
durant des années ! Croyez-moi : vous venez de nous rendre un sacré
service !
— Vous avez évité beaucoup de
procès comme ça ?
— Tous ceux dont on a eu vent auparavant ! Une bonne dizaine ! Il doit chercher dans les gazettes des tribunaux des motifs d’ester en justice et il se trouve qu’il se croit très fort en droit, alors que c’est un sombre crétin !
— Tous ceux dont on a eu vent auparavant ! Une bonne dizaine ! Il doit chercher dans les gazettes des tribunaux des motifs d’ester en justice et il se trouve qu’il se croit très fort en droit, alors que c’est un sombre crétin !
— Il s’est cassé les dents
parfois, dès le départ ?
— Quand il a voulu attaquer la
déchetterie du coin pour nuisance olfactive sur le terrain où il comptait
construire une maison à louer !
— Encore ? Mais c’est un
promoteur local, ce monsieur !
— Pensez : il a acheté une
vieille maison et depuis quinze ans, il n’a pas encore fini de la retaper !
Mais, j’ai oublié de vous demander, monsieur Salmigondi : c’est quoi votre
profession ?
— Juge au tribunal de première
instance ! Je crois que ce village va beaucoup me plaire !
— Je ne sais pas si Dupont-Latour va partager
cet enthousiasme !
— Quelque chose me dit que non !
— Allez : vous buvez
quelque chose ? C’est pour moi !
— Un pastis ! C’est l’heure
de l’apéro !
— Je vous accompagne et je sors
les olives !
— Il fait une chaleur ! Un
pastaga bien frais et des olives, y a rien de mieux !
— J’en connais un autre qui va
déguster !
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