Monsieur Lopes, - le
monsieur Brun du cafetier -, locataire de la Casa Nova, arrive avec le chapeau de
paille mis de travers. Ça sent la tempête
sous un crâne. Mais qui seront Les
misérables qui ont osé ainsi agiter la matinée de ce sympathique
touriste ? Le patron du café s’attend à tout. Sauf à la révélation entomologique.
— Parmi
les dix plaies de la Casa Nova, vous avez omis de me dire : des taons en
grand nombre entrèrent dans toute la maison ! Enfin, je dis des taons, mais
il s’agit de mouches vertes !
— Les
insectes, ce n’est pas ça qui manque en été en Corse !
—
Les frelons, je me suis habitué et je les chasse de la
cuisine et de la salle de bain ! Ils ne sont pas si féroces que leur
taille le laisse supposer ! Les guêpes, on s’en accommode et on avale vite
la viande, avant qu’elles ne la sentent ! Ou on leur laisse la part du
pauvre, dans un coin de la table avec un petit bout de poulet
et la peau ! Mais là, c’est une
nuée !
—
Une nuée ? Vous ne vireriez pas marseillais,
monsieur Brun ?
—
Lopes ! Lopes, nom d’un chien !
—
Vous voulez un café pour vous calmer ?
—
Non, merci ! J’ai divorcé du café de ma femme !
J’ai la cafetière Nespregusto ! Quand je dis nuée, c’est plutôt par
vagues ! Un peu comme les migrants !
—
Vous avez de ces comparaisons ! Oser mettre dans
le même panier des mouches importunes et les malheureux qui fuient l’Asie et
l’Afrique ! Vous êtes sûr que ce ne sont pas les Hébreux fuyant
l’Égypte ? Pardon de rire avec un sujet aussi grave !
—
J’ai une pièce où j’aime lire ! C’est d’ailleurs
la seule où le mobile ne passe pas du tout ! Autrement dit, mon épouse qui
passe le plus clair de son temps à appeler ses amies et sa famille pour dire
tout ce qu’on pourrait faire, si elle daignait lâcher ce maudit
téléphone ! Bref, dans cette pièce, je peux lire presque, sans entendre
les conversations qui me concernent si peu !
—
C’est là que la Nature se montre parfois cruelle à
l’égard du paisible lecteur !
—
Je ne lis pas des romans de la Grande Littérature !
Enfin, pas de celle qui ennuie la plupart des lecteurs estivaux ! Des
polars, des nouvelles d’un auteur japonais ! Or, je lisais un polar
français original quand quatre mouches se sont mises à tournoyer dans un
bourdonnement qui me sortait de la ceinture parisienne et des trafics de
drogue !
—
J’ai un vieux ventilateur, si vous voulez ! Il
fait un bruit dû à une vibration et on finit par s’y habituer, car il apporte
l’illusion d’un air frais ! Ça devrait couvrir le bourdonnement !
—
J’ai pris une tapette ! Pas celle pour les
rats : celle pour les mouches ! Et je me suis employé à dégommer les
quatre mouches ! D’ailleurs, il m’est arrivé un truc étonnant !
—
Avec vous, je suis rarement déçu ! Ça égaie mes mornes journées ! Dîtes
voir…
—
Je ne suis pas un bigot ! Je suis catholique, mais
guère pratiquant ! Je me fiche du Pape, des curés et je ne crois pas
vraiment aux demi-dieux que sont les saints et saintes !
—
Généralement, ce genre de préambule fort littéraire est
suivi d’un mais !
—
Mais, ne voilà-t-il pas qu’une mouche se pose sur un
portrait de la Vierge, sans doute ramené de Lourdes par un ancêtre du
proprio ! Là, je peux dézinguer ma mouche verte, la dernière des
quatre ! Et soudain, j’hésite ! Je me dis que ça n’est pas parce
qu’on ne croit pas à ces choses qu’il faut se montrer mécréant ! Hésitation
coupable dont la mouche a profité pour reprendre son vol !
—
Comme le bourdon de Rimski-Korsakov !
Le patron astique son zinc avec une moue dépitée, comme à la
fin de ces films français qui se plaisent à ne rien raconter et à se finir en
queue de poisson, sans parvenir à être assez ennuyeux pour dormir :
—
Je lis quelques lignes et trois nouvelles mouches
entrent dans mon cabinet de lecture !
—
Les mouches sont toujours attirées par les cabinets,
plus que par la lecture !
—
Et je dois à nouveau travailler mon service avec ma
tapette en guise de raquette !
—
Et il faut travailler aussi le smash et la montée au
filet !
—
Avec la canicule, je suais comme un veau ! Je
zigouille les mouches importunes…
—
Mais pour que ayez le chapeau de paille de traviole, il
faut que ça ait continué !
—
Je veux, mon neveu ! Quatre mouches venues d’on ne
sait où…
—
Vous ne leur avez pas demandé leurs papiers, quand
elles ont passé la frontière de la fenêtre ?
—
Je n’ai pensé qu’à me remettre à l’affût pour les
liquider !
—
Vous n’aviez pas d’appeau, comme pour le canard ?
On se croirait en Sologne !
—
Des épisodes comme ça, j’en ai eu pendant plus d’une
heure ! Une des plaies de l’Égypte !
—
Vous avez des enfants avec vous ?
—
Le premier-né de mon premier-né !
—
Malheur ! Il faut agir, monsieur Brun !
—
Lopes !
— Parce que vous croyez que les plaies s’arrêtent à des
considérations patronymiques ? Il vous faut un agneau ou un chevreau, sans
défaut, de moins d’un an ! Il faut le sacrifier et le manger ! Garder
son sang pour le mettre sur les deux poteaux et sur le linteau de la porte
principale de la Casanova !
—
Et pourquoi ? Quelle horreur ! Ça va attirer
plus de mouches !
—
Je vous chine ! La dixième plaie de l’Égypte, dans
la Bible : La mort des premiers-nés de toutes les maisons qui ne porteront
pas ce signe !
—
Je ne vous voyais pas en train de lire la Bible, le
soir avant de vous endormir !
Lopes, dit monsieur Brun, ôte son chapeau de paille et
s’éponge le front qui recule sous les assauts répétés des ans, telle la falaise
de Bonifacio face aux vagues écumantes :
—
Un petit Casa, ce serait possible ! Ou bien vous
attendez d’avoir fini la bouteille de Ricard ?
—
Malheureux ! Pour les pastis, il en va comme de la
religion ! Chaque buveur a son église et je me dois d’avoir au moins ces
deux marques, sans ça ils vont aller le boire ailleurs !
—
Un Casa, donc, et ne mettez pas trois tonnes de glaçons
pour donner l’illusion d’une dose normale !
—
Comme si c’était mon genre de faire ça ! J’attends
le troisième pastis…
—
Vous n’avez pas des olives, aujourd’hui ?
J’attends qu’un ami me les monte de la plaine !
—
Et il ne vous resterait rien d’autre pour agrémenter le
pastaga ? Des cacahuètes ?
—
Des noix de cajou ! Mais, je n’aime pas !
—
Mais moi si ! Envoyez les cajous, mon minou !
À cet instant-là, entre un inconnu, en bermuda et en chemise
à manches courtes. Il se ventile le visage avec son panama et regarde les lieux
avec étonnement. Pas si mal pour un bar
rural, doit-il se dire.
—
On peut avoir une eau minérale ? Vittel, Volvic ou
Contrex, peu m’importe !
—
Vous préférez laquelle ?
—
La Volvic !
—
Celle-là, je ne l’ai pas ! J’ai du Vittel !
Le client regarde le
patron avec un œil circonspect, car pour ce faire, il a fermé l’œil droit. Il
vient de pénétrer lui aussi dans la quatrième dimension, comme nombre de
touristes avant lui.
—
Alors, va pour le Vittel ! Le mobile passe par
ici ?
—
SFR et Orange seulement, mais sur la terrasse en plein
soleil ! À cette heure-là, mieux vaut éviter, à moins que ce ne soit
capital ! Avec cette canicule…
—
Je préfère l’ombre du bar ! J’appellerai avant de
partir !
—
Je vous amène votre Vittel en bouteille d’un
quart ! Vous l’ouvrirez vous-même !
—
Je préfère : au moins je sais que c’est vraiment ce
que je vais payer !
—
Je ne vais pas faire tout le boulot, quand même !
—
Je m’en voudrais de provoquer une crise cardiaque !
Amenez aussi un verre !
—
Attendez, je l’amènerai après !
— Pourquoi pas en même temps ?
— Pourquoi pas en même temps ?
— Après ! Dans la famille,
on a toujours fait comme ça ! Je ne voudrais pas que mes ancêtres se
retournent dans la tombe ! Ces touristes… Toujours stressés ! On
n’est pas à Paris !
—
Je m’en serai rendu compte ! Ça n’a rien du Café de Flore !
—
Vous savez, Lopes, j’ai l’impression de connaître ce
client-là !
—
Il est peut-être d’un village plus vers les montagnes…
—
Non ! C’est un visage qui me dit quelque
chose ! Un acteur ou un homme politique !
—
Pourquoi, il y a une différence ? Surtout depuis
qu’on a un président qui a fait du théâtre !
—
Non ! Ce n’est pas ça ! La télé ! Il
était à la télé !
—
Quand on est célèbre, on passe à la télé !
—
On voit aussi des cloches qui espèrent devenir
célèbres ! Ça y est : c’est Jacques Mondiano qui présentait La France
dans les yeux ! Une émission sur les personnes du quotidien qui méritaient
d’être connues pour leurs actions bénéfiques sur l’Environnement, ou sur une
communauté !
— On l’a Perdu de
vue, non ? Plus assez d’audimat et plus assez de rentrées
publicitaires !
— Ben oui : les gens ne montraient pas leurs fesses
ou ne s’engueulaient pas comme des poissons pourris ! On préfère Loft
Story, ou des merdes du genre ! Avec des gens nuls !
Le client se sert son eau minérale dans son verre propre
sorti du lave-vaisselle. Soudain, il rentre un gars en sueur avec une corbeille
rectangulaire, emplie de pâtisseries en sachet.
Big Brother is watched by you !
— Bonjour, m’sieurs-dames !
Quelle chaleur ! On va tous crever !
— Une certitude et une
interrogation ! sourit le cafetier. On va tous crever, un jour ou
l’autre ! C’est sûr ! Le plus tard possible, si j’ai le choix !
Par contre, il y a trois messieurs et je ne vois pas de dames !
— Pas de chance !
— Alors, Francè ? Tu fais ta tournée du samedi pour vendre tes gâteaux faits maison ?
— Pas de chance !
— Alors, Francè ? Tu fais ta tournée du samedi pour vendre tes gâteaux faits maison ?
— Ils sont bons,
croyez-moi ! Pas de saloperie dedans ! dit-il en s’adressant à
Jacques Mondiano.
— On dit ça, mais on est souvent
arnaqué par les gens !
— Ah, non ! s’offusqua
Francescu, la main sur le cœur. Mes gâteaux sont sans ingrédients !
— Pardon ?
— Je vous le jure sur la tête de
ma mère ! dit le nouveau venu, en se signant trois fois. Que je ne la
revois jamais plus si j’ai mis un seul ingrédient dedans !
— Tu as des canistrelli aux
noisettes de Cervione ? demanda le cafetier.
— Mais bien sûr ! Combien
en veux-tu ?
— Trois paquets ! C’est
pour ma cousine ! Elle en cherche des non industriels !
— Ah ! Alors, avec moi,
elle ne sera pas déçu ! Ma mère les faits dans la cuisine ! Sans
ingrédients !
— Sans ingrédients ?
s’étonna à son tour monsieur Brun.
— Un conseil : prenez-en !
Vous aimez lesquels, vous ?
— Nature ! Ils sont à
combien ?
— Trois euros les trois cents
grammes !
— Purée ! Vous ne vous
mouchez pas avec le coude !
— Regardez dans les
supers ! Ils sont plus chers ! Les miens sont livrés sur place et
sans ingrédients !
— Allons, monsieur Brun !
Prenez-en ! C’est une affaire !
— Trois paquets, alors !
Tenez : un billet de dix euros !
— Je n’ai pas de monnaie !
dit le vendeur en mettant le billet dans sa poche.
— Je vous en prie !
Gardez-les ! Pourboire !
— Je vous remercie ! C’est
sympa !
— Tiens, voilà tes dix euros
pour mes paquets ! Remarquez, monsieur Brun, si vous preniez neuf paquets,
ça ne ferait que trente euros ! glissa le cafetier en faisant un clin d’œil
à Lopes.
— Là, je vous offrirais même un
paquet gratuit ! Neuf plus un ! Cadeau de la maison !
— Je vais me contenter de trois
paquets ! Pour goûter !
— Vous verrez : le matin au
petit-déj’, c’est extra ! Vous prenez quoi en vous levant ?
— Du thé vert, sans sucre !
— Per la miseria ! Vous
vous en voulez ! Vous trempez deux canistrelli dans votre thé et ce sera
un délice ! Croyez-moi, vous ne regretterez pas ! En plus, sans
ingrédients !
— Vraiment sans ingrédients ?
J’ai du mal à y croire !
Ils attendent quelques secondes, puis comme rien ne se
produit, le vendeur sort en disant :
— Vous voyez : je vous l’avais
dit ! Sans ingrédients !
— Avvedèci, Francè ! Chi
vedette, celui-là ! pouffe le patron tandis que se ferme la porte.
— Il est bien entier, votre
gars, là, avec son “sans ingrédients“ ?
— Je dois avouer que c’est un
argument des plus surprenants ! opina monsieur Brun-Lopes.
— Franchement, il veut faire
croire qu’il ne met ni farine, ni sucre ? demanda le client célèbre.
— Non, je vous rassure ! Il
veut dire sans conservateurs et sans colorants, ni parfums artificiels !
— Il n’est pas entier, votre
gars !
— Élevé dans les jupes de maman !
Je crois qu’il n’a jamais connu une femme !
— Je crois que ça ne va pas s’arranger
dans ce domaine-là ! Il a un côté pas fini !
— Mais c’est un brave garçon !
Vous allez avoir une nouvelle émission ? osa demander le cafetier.
— Peut-être ! Je suis en train
de négocier un truc avec une chaîne du câble !
— Tant mieux, parce que je l’aimais bien votre
émission !
— La nouvelle émission serait
différente !
— Ah ! Mais, différente-différente ?
— Avec des points communs !
Je ne vais pas cracher sur les sujets que j’aime !
— Mi face piacè ! C’est bien, c’est bien !
— Bon, je dois passer un coup de
fil, justement pour ça !
— J’espère que ce sera une bonne réponse ! Tenez : pour vous porter chance, je vous donne un paquet de canistrelli ! Sans ingrédients, ça ne se refuse pas !
— Effectivement : c'est marqué sur le sachet ! Sans ingrédients ! Il faut le lire pour le croire ! C'est vraiment une vedette locale !
— J’espère que ce sera une bonne réponse ! Tenez : pour vous porter chance, je vous donne un paquet de canistrelli ! Sans ingrédients, ça ne se refuse pas !
— Effectivement : c'est marqué sur le sachet ! Sans ingrédients ! Il faut le lire pour le croire ! C'est vraiment une vedette locale !
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