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lundi 24 juillet 2017

Mon village est unique même s'il ressemble aux autres (1)


Mon village (enfin, il est en propriété partagée) est un village tout à fait reconnaissable en Corse. Vous ne pouvez pas vous tromper : ses maisons sont en pierre, avec un toit en ardoise, pour la plupart. C’est dire s’il est différent des autres !
Si vous avez encore des doutes, il est bâti au milieu du maquis et entouré de châtaigniers, dont beaucoup sont multicentenaires.
Quand vous arrivez par la route, aux limites de la commune, les chasseurs ont disposé des peaux de sangliers, sans doute une tradition résurgente d’une coutume tribale issue de l’âge de la pierre taillée. Nul ne sait où elle s’est taillée, mais elle est revenue plus polie, sauf pour les sangliers.
Une fois parvenu au village, vous vous garez sur la place du village, couverte d’un merveilleux enrobé généreusement offert par le contribuable. Autrement dit, nous tous. Pour vous enrober, le temps d’un discours, il faut bien vous dérober pendant des années.

Sur cette place, vous trouverez une fontaine qui ne coule que par intermittence en été, lorsqu’il fait bien chaud et plus précisément quand vous possédez le plus de chances d’avoir soif.
Cette fontaine est sadique. Son plus grand plaisir est de voir arriver un cycliste qui vient de se taper 10 kilomètres de côte, et, - est-il sot -, qui pense s’abreuver à l’eau pure et fraîche d’une fontaine, dont les pierres sont artistiquement masquées par le ciment, ce chantre (ou chancre) des temps modernes.
Devant la mine déconfite du cycliste suant, le casque à la main, au bord de la reddition inconditionnelle, je suis convaincu que la fontaine a une érection, d’où l’expression “érection d’un monument“. Elle pousse un sardonique gargouillis de vide en sa tuyauterie intérieure.


La plupart du temps, notre cycliste repart vers la plaine, avec le goût amer de l’échec et de la soif. Remarquez que, s’il a quelques euros sur lui, il peut visiter la seconde curiosité du village : le bar. Vous pensez que tous les bars se ressemblent.
Vous êtes dans l’erreur la plus absolue. D’où la soif d’absolu.

Ce bar a été refait à neuf, sauf le patron. Je suis convaincu que des touristes reviennent chaque année et envoient des amis, car c’est une particularité du village, du canton et peut-être même de la microrégion. Tout d’abord, il n’est pas pressé de vous servir. Jusque-là, rien d’extraordinaire.
La Corse est parsemée de ces sortes de commerçants qui préfèreraient qu’on leur laisse de l’argent sur le comptoir, après être entré et sorti en courant, sans rien demander. Ou même envoyer un don, par courrier, sans inonder les routes de véhicules et de demander aux gens de travailler durant la saison la plus écrasante de chaleur de l’année.
Pour lui, la saison chaude dure douze mois. Il a été le premier à percevoir le réchauffement climatique. Il se fiche de l’argent, car il en a déjà, dit-il. Ce n’est pourtant pas incompatible, puisque ceux qui en ont du blé n’ont qu’un seul souhait : en posséder plus.
Le patron

Non, son truc à lui, c’est de se mêler des conversations qui ne l’intéressent pas directement. Pendant ce temps, vous attendez votre boisson qu’il sert fraîche, bien sûr. Mais quand ?
Le cycliste pénètre dans un univers parallèle et croit jouer dans un épisode de la quatrième dimension. Toujours est-il qu’il repartira le sourire aux lèvres, pouvant se vanter d’avoir pénétré dans un commerce hors-la-loi du marché, plus favorable à la demande qu’à l’offre.
De retour sur la place, il pourra admirer le paysage qui donne sur la plaine s’il se donne la peine de regarder à l’ouest, il verra les maigres eaux d’un barrage presque à sec en été, car on le vide en hiver en prévision d’un nettoyage (à sec) qui ne vient jamais, car on se demande où mettre ces boues très certainement polluées. Il faut le voir pour le croire.
Credo quia absurdum. “Je le crois car c’est absurde“, surtout avec certaines administrations.

Nous serions en hiver, il admirerait un barrage plein. Quand nous avons de l’eau à profusion et que les cultures n’en ont cure, c’est sûr. Mais en hiver, il fait froid et le touriste, comme le cycliste, qui souvent sont une seule et même personne, ne sont pas tentés de se cailler les miches et de se casser la gueule sur les routes humides. Donc, il voit une ruine, dont les murs surgissent des eaux bourbeuses, et que je confondais avec l’ancien moulin.
Un peu comme l’ancien temple de Philae, depuis le début du 20ème siècle jusqu’aux années 1960, avant d’être déplacé sur son site actuel. Je doute que l’Unesco entreprenne des travaux similaires pour la ruine d’une ancienne maison, dépourvue de fresques et bas-reliefs, et à l’architecture des plus communes dans le canton.
Le barrage est alimenté par le fiume qui se traduirait par fleuve, puisqu’il rejoint la mer, ce qui n’est pas trop dur : la mer est à moins de dix bornes. Ne vous imaginez pas voir le Nil et ses eaux fertiles, ni le barrage d’Assouan et l’île de Philae.
Temple de Philae durant la crue © David Roberts

En hiver, lorsqu’il pleut abondamment, le fleuve mérite à peine le titre de torrent. Mais, sous les yeux du cycliste, en été, c’est presqu’un ruisseau qui serpente en contrebas, et L’Osteria du Lac devrait être rebaptisée L’Osteria de la Flaque.
Ce barrage n’a rien rapporté à la commune, si ce n’est des moustiques.

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