Mon village (enfin, il est en propriété partagée)
est un village tout à fait reconnaissable en Corse. Vous ne pouvez pas vous
tromper : ses maisons sont en pierre, avec un toit en ardoise, pour la
plupart. C’est dire s’il est différent des autres !
Si vous avez encore des doutes, il est bâti au
milieu du maquis et entouré de châtaigniers, dont beaucoup sont
multicentenaires.
Quand vous arrivez par la route, aux limites de la
commune, les chasseurs ont disposé des peaux de sangliers, sans doute une tradition
résurgente d’une coutume tribale issue de l’âge de la pierre taillée. Nul ne
sait où elle s’est taillée, mais elle est revenue plus polie, sauf pour les
sangliers.
Une fois parvenu au village, vous vous garez sur la
place du village, couverte d’un merveilleux enrobé généreusement offert par le
contribuable. Autrement dit, nous tous. Pour vous enrober, le temps d’un
discours, il faut bien vous dérober pendant des années.
Sur cette place, vous trouverez une fontaine qui ne
coule que par intermittence en été, lorsqu’il fait bien chaud et plus
précisément quand vous possédez le plus de chances d’avoir soif.
Cette fontaine est sadique. Son plus grand plaisir
est de voir arriver un cycliste qui vient de se taper 10 kilomètres de côte, et,
- est-il sot -, qui pense s’abreuver
à l’eau pure et fraîche d’une fontaine, dont les pierres sont artistiquement
masquées par le ciment, ce chantre (ou chancre) des temps modernes.
Devant la mine déconfite du cycliste suant, le
casque à la main, au bord de la reddition inconditionnelle, je suis convaincu
que la fontaine a une érection, d’où l’expression “érection d’un monument“. Elle pousse un sardonique gargouillis de
vide en sa tuyauterie intérieure.
La plupart du temps, notre cycliste repart vers la
plaine, avec le goût amer de l’échec et de la soif. Remarquez que, s’il a
quelques euros sur lui, il peut visiter la seconde curiosité du village :
le bar. Vous pensez que tous les bars se ressemblent.
Vous êtes dans l’erreur la plus absolue. D’où la
soif d’absolu.
Ce bar a été refait à neuf, sauf le patron. Je suis
convaincu que des touristes reviennent chaque année et envoient des amis, car
c’est une particularité du village, du canton et peut-être même de la
microrégion. Tout d’abord, il n’est pas pressé de vous servir. Jusque-là, rien
d’extraordinaire.
La Corse est parsemée de ces sortes de commerçants
qui préfèreraient qu’on leur laisse de l’argent sur le comptoir, après être
entré et sorti en courant, sans rien demander. Ou même envoyer un don, par
courrier, sans inonder les routes de véhicules et de demander aux gens de
travailler durant la saison la plus écrasante de chaleur de l’année.
Pour lui, la saison chaude dure douze mois. Il a été
le premier à percevoir le réchauffement climatique. Il se fiche de l’argent,
car il en a déjà, dit-il. Ce n’est pourtant pas incompatible, puisque ceux qui
en ont du blé n’ont qu’un seul souhait : en posséder plus.
Le patron
Non, son truc à lui, c’est de se mêler des
conversations qui ne l’intéressent pas directement. Pendant ce temps, vous
attendez votre boisson qu’il sert fraîche, bien sûr. Mais quand ?
Le cycliste pénètre dans un univers parallèle et
croit jouer dans un épisode de la quatrième dimension. Toujours
est-il qu’il repartira le sourire aux lèvres, pouvant se vanter d’avoir pénétré
dans un commerce hors-la-loi du
marché, plus favorable à la demande qu’à l’offre.
De retour sur la place, il pourra admirer le paysage
qui donne sur la plaine s’il se donne la peine de regarder à l’ouest, il verra
les maigres eaux d’un barrage presque à sec en été, car on le vide en hiver en
prévision d’un nettoyage (à sec) qui
ne vient jamais, car on se demande où mettre ces boues très certainement
polluées. Il faut le voir pour le croire.
Credo quia absurdum. “Je le crois car c’est
absurde“, surtout avec certaines administrations.
Nous serions en hiver, il admirerait un barrage
plein. Quand nous avons de l’eau à profusion et que les cultures n’en ont cure,
c’est sûr. Mais en hiver, il fait froid et le touriste, comme le cycliste, qui
souvent sont une seule et même personne, ne sont pas tentés de se cailler les
miches et de se casser la gueule sur les routes humides. Donc, il voit une
ruine, dont les murs surgissent des eaux bourbeuses, et que je confondais avec
l’ancien moulin.
Un peu comme l’ancien temple de Philae, depuis le
début du 20ème siècle jusqu’aux années 1960, avant d’être déplacé
sur son site actuel. Je doute que l’Unesco entreprenne des travaux similaires
pour la ruine d’une ancienne maison, dépourvue de fresques et bas-reliefs, et à
l’architecture des plus communes dans le canton.
Le barrage est alimenté par le fiume qui se
traduirait par fleuve, puisqu’il rejoint la mer, ce qui n’est pas trop dur :
la mer est à moins de dix bornes. Ne vous imaginez pas voir le Nil et ses eaux
fertiles, ni le barrage d’Assouan et l’île de Philae.
Temple de Philae durant la crue © David Roberts
En hiver, lorsqu’il pleut abondamment, le fleuve mérite à peine le titre de
torrent. Mais, sous les yeux du cycliste, en été, c’est presqu’un ruisseau qui
serpente en contrebas, et L’Osteria du Lac devrait être rebaptisée L’Osteria de la Flaque.
Ce barrage n’a rien rapporté à la commune, si ce
n’est des moustiques.
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