Rechercher dans ce blog

samedi 12 août 2017

Un éclair sans génie


Ce matin-là, monsieur Salmigondi se réveille en sursaut. Il avait mal dormi, la nuit précédente, invité chez le maire de la commune qui avait tenu, la veille au soir à fêter le bon déroulement de l’expo. Mais, fallait-il un prétexte vraiment sérieux pour faire un bon gueuleton sur la terrasse, à présent que la canicule se trouvait libérée de tout reculoir et pouvait donc entamer une retraite bien avant l’âge ?
Le maire l’avait incité à manger un fromage de chèvre du village, dont le moins qui se pouvait dire était qu’il picotait les papilles. Non content de cela, il l’avait invité à se resservir, ce dont le juge se serait passé, mais, n’osant se montrer impoli envers un charmant hôte, il avait cédé et mangé à nouveau ledit fromage.
Bien sûr, pour soulager les picotements, il avait bu force verres de vin rouge. Non content de ça, malgré les yeux en soucoupe de madame Salmigondi, il avait accepté un café à vingt-trois heures, oubliant la plus extrême prudence. Pour finir, il avait eu droit à une liqueur de myrte maison, - délicieuse au demeurant -.
Résultat, il ne s’était endormi qu’à une heure du matin, pour se réveiller environ deux heures plus tard, et n’avait retrouvé le sommeil que vers cinq heures du matin et des poussières, tandis que bêlaient les chèvres que son épouse s’était chargée de tenir éloignée des voitures, comme chaque matin.

À onze heures et quart, il dort à poing fermé, à présent que le fromage de chèvre a fini de gambader dans ses intestins, pourchassant la salade verte tandis que le vin et la liqueur ont cessé de lui lancer des pointes au niveau de la vésicule. Quant au café, accepté de façon irréfléchie, ses effets excitants se sont évanouis.
À onze heures et seize minutes, un coup de tonnerre retentit soudain et réveille monsieur Salmigondi. Foudre, fenêtres ouvertes. Il bondit, tel un soldat sur le pied de guerre et court dans la maison vide, afin de tout fermer. Dehors, il pleut. Il pleut enfin. Est-ce la fin de cette fichue canicule ? On peut l’espérer.
Une fois toutes les ouvertures de la maison closes, - non pas que la maison soit une ancienne maison de tolérance, car les femmes du village ne l’auraient jamais toléré ! -, il se recouche et tente de s’endormir. En vain. Il écoute et il lui semble que la pluie a cessé. Il n’entend plus le tonnerre gronder ni la foudre retentir tel une canonnade.
Comprenant que le sommeil s’est enfui, sitôt le premier impact de foudre, le vacancier se relève et comptabilise ses heures de sommeil. Il a eu son compte. Dans le désordre d’une digestion pénible, car il a pour habitude d’éviter certains aliments le soir. Sauf, lorsqu’il est invité, car ses parents l’ont bien élevé, hélas pour lui.
Son épouse est certainement chez une voisine, en train de discuter et de boire le café. Elle fait chaque matin, ce qu’il répète chaque soir, vers dix-huit heures, soit au Café comme chez soi, soit chez des voisins en vacances.
Il se fait donc un café, après avoir bu le thé vert qui est froid et avalé quelques canistrelli achetés à un vendeur ambulant assez particulier. Ils sont bons et… “sans ingrédients“. Il compte ramener un sachet vide et le montrer à des amis pour leur narrer cette histoire extraordinaire.
À présent, l’estomac plus plein, il peut avaler son expresso, afin de quitter les vapeurs du sommeil, d’autant qu’il a les tripes retournées par des aliments dont il sait qu’ils lui sont contraires, bien qu’il en raffole.
Sa tasse en verre à la main, il va vers la porte et l’ouvre. Plus de pluie, plus d’orage perceptible ; au contraire, un beau soleil rayonne à nouveau. Pourra-t-il aller à la plage cet après-midi ? Nul doute que son épouse aura envie de prendre la voiture et d’aller faire les courses sans l’avoir sur le dos. Donc, pas de plage.

Après un repas léger et la sieste de treize heures, il bouquine et, étrangement, s’aperçoit que c’est lorsqu’on a le plus de temps qu’on en trouve le moins pour lire les romans qui traînent sur la pile de lecture, laquelle ne peut fondre, en raison du travail qui accapare l’esprit et le rend peu disponible à la lecture.
Il comptait lire huit romans et n’en a fini qu’un seul. S’il parvient au second, ce sera un miracle ! Comme à chaque été. Il a beau changer d’endroit, c’est la même rengaine. S’il fait beau, il va à la plage et à l’apéro le soir. Le matin, il se colle devant son PC, afin de parcourir ses courriels.
Il lit ses quotidiens sur son mobile, buvant des cafés et profitant d’un exercice extraordinairement jouissif : le farniente. C’est la plus grande invention de l’homme, de toute l’histoire de l’Humanité ! Mieux que la roue, mieux que l’écriture, mieux qu’Internet ! Ne rien glander du tout ! Bayer aux corneilles…
Lopes qui fait le paon

Sur le coup de dix-sept heures, il y a du vent frais qui balaie des feuilles sèches. Néanmoins, monsieur Salmigondi sort, allant où ses pas le conduisent, sans plan préconçu. Le voilà qui, à force de ne rencontrer personne se retrouve au Belvédère. Monsieur Lopes est là et il fait le joli cœur avec Marie-Pierre.
Le juge doit être pestiféré car, à peine il pointe le bout de son nez, voilà que Lopes se taille. Salmigondi sent ses vêtements. Il a mis son parfum. Il s’est brossé les dents : pas d’haleine de chacal, en dépit du fromage d’hier au soir. Aurait-il eu le simple mauvais goût d’empêcher Lopes de faire le paon.
L’oiseau se fait rare et repart en ayant refermé sa queue ocellée, le roué personnage. Il salue au passage le juge, d’un signe de la tête.
— Je l’ai chassé ? On aurait dit qu’il me fuyait comme la peste !
— Je crois qu’il veut faire le joli cœur, sans chercher plus qu’à plaire ! Mais, trop souvent, la chose est barbante ! N’hésitez pas à venir exorciser les lieux !
— Drôle de temps ! On ne savait plus si on devait se préparer pour la plage ou pas ! Soleil, pluie et tonnerre, re-soleil, vent et nuages, re-soleil et re-vent ! Tant et si bien que j’ai fini De la Terre à la Lune ! Heureusement que nous avons un paratonnerre ici ! Je connais un village où ça n’est pas le cas !
— Ils n’ont jamais songé à en installer ?
— Si seulement c’était ça, ce ne serait que de l’inconséquence ! Mais non : la chose s’avère bien pire que ça et difficile à résumer en deux ou trois mots !
— Depuis que l’on m’a conté l’histoire du tracassier des prétoires, je pense que je suis entré dans une dimension parallèle ! Entrer dans le monde des petits villages revient à pénétrer dans des pays où la Loi est pervertie et où les administrations censées défendre l’intérêt général vont à l’encontre de celui-ci !
— Vous ne croyez pas si bien dire, cher monsieur !
— Vous me faites craindre le pire !
— Figurez-vous qu’un personnage a acheté un beau jour un terrain contigu à sa maison, avec une parcelle qui allait au-delà de ses espérances !
— Ne parlez pas par énigme ! C’est trop facile pour vous qui savez !
— Ce personnage peu reluisant se rendit compte que le paratonnerre communal érigé avec l’accord de l’ancien propriétaire se trouvait sur une éminence qui se trouvait sur la fameuse parcelle vendue avec celle qui l’intéressait !
— Vous avez dit que le terrain était contigu à sa maison…
— C’est là toute l’absurdité du sieur : ce paratonnerre protégeait la maison dont il envisageait de faire un gite rural ! Il protégeait donc cette maison, mais pas celle qu’il possédait à l’autre bout du village, car un autre paratonnerre se trouvait à une centaine de mètres d’un transformateur électrique !
— Donc, sa maison destinée à la location se trouvait protégée par un paratonnerre ?
Lequel fonctionnait depuis une trentaine d’années et donnait pleinement satisfaction ! Moins d’un siècle auparavant, il y avait plusieurs fois des morts, car la foudre tombait souvent autour de cette éminence rocheuse ! La municipalité ayant appris qu’il avait fait l’acquisition de ce rocher, avait engagé une enquête d’utilité publique, laquelle avait conclu à l’utilité du paratonnerre !
— Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes !

Marie-Pierre rit de la confiance du juge à l’égard instances humaines à choisir le meilleur en toutes circonstances. Le bon sens est la chose sur Terre la plus partagée et, à force de la partager, la part de chaque héritier diminue. Comme en toute Raison, la monnaie est sans cesse frappée au coin du bon sens, cette monnaie se déprécie, alors que la sottise et l’erreur placées en actions présentent plus d’intérêts. De sorte que le bon sens a toujours deux trains de retard sur l’erreur et la routine.
— Le personnage en question a fait intervenir un expert qui certifiait que le paratonnerre était nocif pour celui qui vivrait à proximité, en raison d’ondes électromagnétiques que seul ledit expert avait décelé ! Pour une raison que nul être doué de raison ne saurait expliquer, le Sous-préfet a rejeté les conclusions de l’enquête d’utilité publique et a privilégié l’intérêt d’un particulier à l’intérêt général, estimant que la foudre était moins nocive pour la santé que les prétendues ondes de l’expert !
— Mais, c’est totalement aberrant ! bondit le magistrat.
— Il ne faut jamais douter de la faculté de l’homme à dépasser les limites de la déraison ! Il n’y a pas que la Justice qui soit aveugle !
— Et les habitants du village en sont restés là ?
— Oh non ! Pétitions au préfet, au Premier Ministre ! Il semblerait que, suite à une pénurie d’encre, les deux n’aient pu répondre !
— La municipalité n’a rien fait ?
— Tribunal Administratif, mais sans résultat ! Même si un Sous-préfet est stupide, il ne convient pas de déjuger le vassal de l’État !
— Mais, je suis tombé au royaume du Père Ubu !
— De plus, le personnage qui faisait ça uniquement pour des raisons de pulitighella, allait partout clamant qu’on voulait le déposséder !
— Billevesées ! Balivernes ! Coquecigrues ! Fadaises ! L’expropriation permet de délimiter une parcelle pour le paratonnerre et un chemin d’accès ! Ensuite, le reste de la parcelle est restituée, et la surface nécessaire à l’édification fait l’objet d’une indemnisation ! Cet individu est un menteur de la pire espèce !
— Bref, le foutriquet avait démoli le paratonnerre, avant même que le Sous-préfet n’ait pas tenu compte de l’enquête d’utilité publique ! Il a été condamné à payer les frais de remontage, sans pour autant avoir été sanctionné…
— Je veux, mon neveu : destruction de bien public !
— Impossible de remonter un paratonnerre bousillé et non restitué ! De plus, comme il a dit qu’il n’avait pas les moyens de payer…
— Il a bénéficié d’un étalement pour les paiements ! J’ai déjà vu ça quelque part !
— Aussi, lorsque la foudre tombe ici, bénissez le ciel que nous n’ayons pas eu un sbaticu [1] de cette engeance ! Dans l’autre village maladettu [2], lorsque la foudre tombe, ce sont des télés, des antennes paraboliques qui morflent ! Et encore, ils ont de la chance : pas encore un seul mort, pour la folie d’un seul homme !
— Eh oui ! Il y en a qui, à défaut de compétences, ne savent que s’affirmer par leur faculté de nuisance ! Si seulement la foudre pouvait le frapper !
— Oh ! Comme vous êtes violent, soudain !
— Il paraît que l’éclair fout droit les tordus !



[1] Sbaticu : Imbécile, crétin…
[2] Maladettu : Maudit, excommunié, infortuné, abandonné de Dieu.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire