Un autre client entre chez le cafetier qui n’écoute pas de
CD, mais qui est assis dans un coin, et parle fort dans un téléphone mobile. Le
client fait des signes afin de tenter d’attirer l’attention du cafetier qui
poursuit sa conversation, sans même dédaigner un regard.
— Non ?!! C’est pas vrai ! Oh, quel con ! clame-t-il
en se tordant de rire.
— Excusez-moi ! dit le client en levant la main, comme pour héler un taxi.
— Quoi ?!! Je n’y crois pas ! Mais tu es un
accidenté de poussette ! se marre-t-il telle une baleine.
— S’il vous plaît ! supplie le client qui agite les bras, pareil au naufragé
apercevant un navire qui passe devant lui sans même me remarquer.
— Oh !!! Quel âne ! dit le patron de café en posant la main sur le téléphone. Ne
faites pas attention : il est complètement con ! conclue-t-il en se
fendant la gueule.
— Vous pourriez vous occuper de moi, non !?
— Vous ne voyez pas que je travaille, hein !? Vous croyez
peut-être que je me repose ? Excuse-moi, Marcel ! bougonne-t-il à son
interlocuteur téléphonique. Mais dès qu’on fait quelque chose ici, on est
dérangé. Les touristes qui sont en vacances ne supportent pas de nous voir
travailler ! Tu me rappelles, hein ?! Mon forfait est explosé !
Allez : va e pasce, o scemu !
Le patron se lève enfin, et glisse le mobile dans sa poche,
lançant un regard irrité au client.
Café
comme chez soi © Mapomme
— On pourrait avoir un café ? demande enfin, agacé, le
client en pianotant sur le comptoir en
inox.
— Vous avez vu l’enseigne ? Le café comme chez soi :
vous croyez sans doute que je vais vous servir une longe de veau ? Ou que
je vais vous couper les cheveux ?
— J’ai cru un instant que c’était un magasin de téléphonie
mobile ! Tiens, à propos ! lâche le
touriste, sortant son portable
de sa poche pour regarder s’il a des messages.
— Ne vous fatiguez pas : là, ça ne passe pas ! Faites
voir ! ordonne le patron de café en matant le mobile du client. Nous
avons le même opérateur ! Ça ne passe que là où j’étais !
— Ah bon ? sourit le client qui fait mine d’aller dans le coin. Dans ce cas…
— Mais vous allez où, là ?!
— Ben, là où vous étiez ! Puisqu’il n’y a qu’ici que ça
passe !
— C’est ça : faites comme chez vous !
— Ben : l’enseigne est bien Le café comme chez soi !
— D’abord, c’est moi qui me sent comme chez moi ! Et
même, si vous étiez comme à la maison, là, c’est mon coin ! Tout le café
est comme chez vous, sauf là !
Ne jouez pas sur les mots : c’est le café qui est comme chez vous ! Vous
saisissez la nuance ?
— Pas trop non !
— Ce n’est pas le débit de boissons qui est comme chez vous !
C’est le café qui est comme chez soi !
— Oh, punaise ! Ma femme fait un café
dégueulasse !
— Alors, vous ne serez pas dépaysé ! Vous le voulez
comment ?
— Dans une tasse, ça serait déjà bien !
— Noir, crème, serré, léger, déca ? De toute façon, je
n’ai que du déca L’autre m’énerve ! Et après, je suis irascible !
— Ah, bon. Parce que là, vous êtes calme !?
— Cool et plus que cool ! Vous êtes de passage ou bien
en location ?
— Pourquoi, le café sera meilleur dans le second cas ?
— Ça ne changera rien : il sera comme chez vous ! affirme
le cafetier, posant la tasse sur une
soucoupe et plaçant la petite cuillère sur la soucoupe.
Mr Brun © Mapomme
— Ne me dîtes pas ça avant que j’aie payé ! Pour
répondre à votre question, j’ai loué la maison Casanova pour trois
semaines !
— Ce n’est pas la maison Casanova : c’est la Casa Nova. La maison neuve, quoi ! Alors ce
café ? Il est comment ?
— Effectivement, c’est comme chez moi !
Dégueulasse ! répond l’autre en posant la tasse.
— Ah bon. Ça me rassure : j’avais peur de m’être trompé !
— La maison neuve ? Elle est toute en pierre ! Ils l’ont appelé comme ça pourquoi ?
— Parce qu’elle était neuve au début ! Il y a un siècle
et demi !
— C’est la plus neuve des vieilles maisons, si je comprends
bien ! ironise le client.
— Vous me l’enlevez de la bouche ! À propos, faites
attention à la fosse septique ! Il faut mettre un produit chaque semaine
et pas de javel dans les WC ! confie le cafetier, comme s’il venait de
donner les plans du dernier avion furtif.
— Vous êtes sur écoute ? Vous n’avez pas peur que les
Chinois nous piquent l’information ? Mais, comment ça, une fosse septique ?!!
À l’Office de Tourisme, on nous avait dit que le village avait le
tout-à-l’égout !!
— Ils ne vous ont pas menti : le village a bien le
tout-à-l’égout depuis 40 ans ! Nous avons été les premiers du canton à
l’avoir ! claironne le patron, tout fier.
— Dans ce cas, que voulez-vous que je fasse d’une fosse septique !?
Vous avez failli me faire marcher…
— J’ai dit que le village avait le tout-à-l’égout ! murmure-t-il
à nouveau, sur le ton du grand secret.
Mais je n’ai pas dit tout le village !
Tout le village l’a, sauf la
Casa Nova !
— Sauf ma maison ?! Et pourquoi ? Le propriétaire
ne votait pas du bon côté ?
— La maison est à 50 mètres au-dessous du niveau de la
station d’épuration. Remarquez… La commune avait proposé d’acheter un terrain
un peu plus bas au propriétaire de la Casa Nova, mais il a refusé, en disant
qu’il ne vendrait jamais un terrain familial, qu’il aurait l’impression de
trahir ses ancêtres. Bref, vous n’avez pas de tout-à-l’égout !
Le projet des ronces © Mapomme
Le client réfléchit quelques secondes avant de poser la
question qui tue :
— Sa famille l’avait depuis plusieurs siècles ?
— Son père l’avait acheté à mon grand-père.
— Il avait un projet sans doute ? suggère le locataire
de la “maison neuve“.
— Si laisser pousser les ronces est un projet, oui. Vous
savez comment on appelle la Casa nova, pour rire ? Comme ça, entre nous,
au village ?
— Non, mais je sens que je vais le savoir…
— La maison des tapettes !
— Pourquoi, les propriétaires sont… ? Enfin vous
comprenez !
— Justement, c’est pour ça que c’est drôle… Non !!
— Vous n’avez pas compris ?
— J’ai très bien compris ! Mais les propriétaires ne vont pas à la Gay Parade !
C’est à cause des rats !
— Des rats !!! sursaute le locataire. Vous
plaisantez ?! Il y a des rats dans la maison ?!
— Il n’y en a pas dans la maison,
rassurez-vous ! Vous n’en verrez pas un seul de tout le jour !
C’est dans la ruine qui est à 50 mètres qu’ils se
trouvent !
— J’ai eu peur, ce coup-ci !
— Vous avez remarqué que votre câble d’alimentation électrique
passe par le bout de mur encore debout ?
— Je m’attends au pire ! confie le client aux fantômes
des clients d’antan. Je pensais l’avoir déjà atteint avec le café, mais il y a
eu la fosse septique ! Je vais de surprises en surprises !
— Le soir, les rats viennent par
le câble, et rentrent sous le toit ! Vous
entendrez un peu le ramdam qu’ils font toute la nuit. Pas moyen de
dormir !
— Louis, si on
passait des vacances à la campagne ? C’est idyllique, m’a dit mon
épouse ! Et comme un idiot, j’ai répondu : Quelle idée
charmante !
— Mais rassurez-vous : ce sont des rats des champs. Pas
des rats d’égout !
— Oh, chic ! Des rats de bonne compagnie ! Encore
heureux ! La seule maison qui n’est pas raccordée au tout-à-l’égout. Ça m’aurait
fait mal qu’ils vinssent de là ! Pour le reste, pas de cafards, de
termites, un aérodrome à proximité, ou une ligne de chemin de fer ?
— Les premiers locataires avaient
parsemé la maison de tapettes, d’où le nom ! Pour le reste, vous
serez tranquille ! Quoique…
Le malheureux locataire se raidit, s’attendant à une
nouvelle mauvaise nouvelle.
— Quoi encore ?! Des fantômes écossais, des
inondations, des tremblements de terre ? Des météorites, une ancienne mine
d’uranium ou un gisement d’arsenic ?
— Les voisins de l’étage du dessous !
— Pourquoi, ce sont les tambours du Bronx qui prennent leurs
vacances ici ?
— Non… Ce sont des Parisiens qui viennent chaque année depuis 10
ans ! Des gens vraiment comme ça !
indique-t-il avec le pouce en l’air, nouveau label de qualité.
— Je subodore encore une chute
sournoise ! confie à nouveau le client à un public imaginaire. Un
non-dit ! Je ne sais pas si vous avez
remarqué, mais il adore laisser planer l’espoir, afin de mieux le crucifier en
plein vol !
— Ils mangent toujours dehors, pour ne pas salir la
cuisine ! Ils ne veulent pas perdre de temps à faire le ménage, pour mieux
profiter des vacances !
— Ils mangent au
restaurant tous les jours ? Et ils arrivent en klaxonnant à
pas d’heure ?
— Non… 60 repas au resto pour 6 personnes,
il leur faudrait de sacrés moyens ! Ils
cuisinent au barbecue à midi et le soir, tous les jours ! Sauf lorsqu’il pleut… Ils vont à la pizzeria ! Mais comme il ne pleut presque jamais…
— Et pour manifester leur joie
de pouvoir manger à l’air libre et pur, en voyant la nature immaculée, ils
tirent des coups de feu en l’air, et il faut plonger pour éviter les balles
perdues ?
— Mais non ! Vous êtes un
faux Lyonnais ! Vous devez avoir des ancêtres Marseillais pour exagérer
tout ainsi ! Je vais finir par vous
appeler Monsieur
Brun – vous savez le Lyonnais dans
Marius ?
– Vous avez remarqué où se trouve la cheminée
du barbecue ?
— Je dois avouer que ce point a
échappé à ma sagacité… Nous y voilà :
après les passes, l’instant de la mise à mort ! Un sadique, je vous
dis !
— Sous les fenêtres de votre
chambre et de votre salle à manger ! Tous
les jours à midi et quelque chose, et le soir à 7 heures, il faut tout fermer,
à cause de la fumée ! Mais ça ne dure qu’une vingtaine de minutes !
— Ah, bon ! Ça va !
Il y a peut-être des moments de la journée où on
peut profiter de la maison normalement ?! Vous allez voir, mes aïeux : c’est un sadique !
Il va encore rajouter quelque chose pour me pourrir les vacances !
— Non, le reste du temps ça va !
Quoique…
— Qu’est-ce que je
disais !
— À partir du 15 août, c’est
l’ouverture de la chasse !
— Ils ne viennent pas chasser
dans la maison ? Rassurez-moi : il n’y a pas de sangliers qui ont élu
domicile dans les caves de la Casa Nova ?!!
— Ô monsieur Brun !! Vous êtes parent
avec Grossu Minutu ! Non, les sangliers ne viennent jamais là ! Il n’y
a rien à bouffer pour eux ! Mais les chasseurs
et les chiens passent sous vos fenêtres ! Du moins ceux qui font les
voix !
Chasseurs © Mapomme
Le client sursaute à cette indication imprécise pour toute
personne non initiée à la chasse :
— Les voix ? Ce sont les
Chœurs de l’Armée Rouge ?
— Oui, c’est ça ! Avec Jean-Jacques Goldman pour chanter Rouge !
Voyant que son client ruminait, convaincu d’avoir fait la
mauvaise affaire du siècle, il dit :
— Je vous explicationne : c’est une battue ! Ils crient et tirent des
coups de feu en l’air, pour forcer le sanglier à aller vers les chasseurs qui
sont en poste plus bas !
— Ils vont nous réveiller vers
sept heures ? Chronique d’un été gâché.
Je suis déjà impatient de retourner à Vénissieux. Ses produits chimiques, ses
cimenteries, sa pollution et ses bruits prévisibles ! Mon boss pour me
casser les pieds ! Des choses sans surprises !
— À 7 heures ? Non… Vers 5
heures 1/2, s’ils ne sont pas trop impatients ! De toute façon, ils
n’attrapent jamais rien ce jour-là ! Il fait
trop chaud ! C’est juste pour marquer le coup !
— Il n’y a pas d’autres
festivités du genre ? demanda le locataire en se faisant un signe
de croix.
— Maintenant que j’y pense : justement
si ! Il y a la fête du village ! Mais, elle a lieu de l’autre côté du
village ! C’est loin à vol
d’oiseau !
— Il y a sûrement un
lézard ! Vous le connaissez mieux que
moi : vous êtes de mon avis, non ?!
— La nuit, on entend de loin,
c’est vrai ! Et puis avec l’écho de la, vous
ne pourrez pas fermer l’œil ! Remarquez, il y a une solution idéale !
— Ah ! Des boules Quiès ?
Faire exploser le transfo du coin ?
— Mieux : vous allez à la
fête ! Ça vous évitera de vous tourner et
retourner dans votre lit en vain !
— C’est une idée ! soupire
le malheureux. Même si je n’aime pas danser !
— Remarquez, Marcel, - vous
savez celui qui téléphonait lorsque vous êtes arrivé -, il louait toujours la
Casa Nova à cette époque, chaque année ! C’est comme ça que je sais tous
les petits pépins !
— J'aurais bien le connaître, avant de louer !
— Cette année, il a
changé : il est venu le mois
d’avant ! Il m’a expliqué qu’il regrettait de ne pas l’avoir fait plus
tôt ! C’est mieux le mois d’avant ! Pas de chasse, pas de fête, pas
de voisins au barbecue : un rêve !
— Un cauchemar ! Je vous dois combien pour le café ?
— Rien ! Le premier café, c’est toujours moi qui l’offre !
— Merci… Et les suivants ?
— Les gens ne sont pas fous !
La fois d’après, ils prennent un soda ou une eau ! Bref, une boisson
où il y a moins de surprises… Ça n’est pas moi qui la fait !
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