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jeudi 27 juillet 2017

La Casa Nova

Un autre client entre chez le cafetier qui n’écoute pas de CD, mais qui est assis dans un coin, et parle fort dans un téléphone mobile. Le client fait des signes afin de tenter d’attirer l’attention du cafetier qui poursuit sa conversation, sans même dédaigner un regard.

— Non ?!! C’est pas vrai ! Oh, quel con ! clame-t-il en se tordant de rire.
— Excusez-moi ! dit le client en levant la main, comme pour héler un taxi.
— Quoi ?!! Je n’y crois pas ! Mais tu es un accidenté de poussette ! se marre-t-il telle une baleine.
— S’il vous plaît ! supplie le client qui agite les bras, pareil au naufragé apercevant un navire qui passe devant lui sans même me remarquer.
— Oh !!! Quel âne ! dit le patron de café en posant la main sur le téléphone. Ne faites pas attention : il est complètement con ! conclue-t-il en se fendant la gueule.
— Vous pourriez vous occuper de moi, non !?
— Vous ne voyez pas que je travaille, hein !? Vous croyez peut-être que je me repose ? Excuse-moi, Marcel ! bougonne-t-il à son interlocuteur téléphonique. Mais dès qu’on fait quelque chose ici, on est dérangé. Les touristes qui sont en vacances ne supportent pas de nous voir travailler ! Tu me rappelles, hein ?! Mon forfait est explosé ! Allez : va e pasce, o scemu ! 
Le patron se lève enfin, et glisse le mobile dans sa poche, lançant un regard irrité au client.
Café comme chez soi © Mapomme

— On pourrait avoir un café ? demande enfin, agacé, le client en pianotant sur le comptoir en inox.
— Vous avez vu l’enseigne ? Le café comme chez soi : vous croyez sans doute que je vais vous servir une longe de veau ? Ou que je vais vous couper les cheveux ?
— J’ai cru un instant que c’était un magasin de téléphonie mobile ! Tiens, à propos ! lâche le touriste, sortant son portable de sa poche pour regarder s’il a des messages.
— Ne vous fatiguez pas : là, ça ne passe pas ! Faites voir ! ordonne le patron de café en matant le mobile du client. Nous avons le même opérateur ! Ça ne passe que là où j’étais !
— Ah bon ? sourit le client qui fait mine d’aller dans le coin. Dans ce cas… 
— Mais vous allez où, là ?!
— Ben, là où vous étiez ! Puisqu’il n’y a qu’ici que ça passe !
— C’est ça : faites comme chez vous !
— Ben : l’enseigne est bien Le café comme chez soi !
— D’abord, c’est moi qui me sent comme chez moi ! Et même, si vous étiez comme à la maison, là, c’est mon coin ! Tout le café est comme chez vous, sauf là ! Ne jouez pas sur les mots : c’est le café qui est comme chez vous ! Vous saisissez la nuance ?
— Pas trop non !
— Ce n’est pas le débit de boissons qui est comme chez vous ! C’est le café qui est comme chez soi !
— Oh, punaise ! Ma femme fait un café dégueulasse !
— Alors, vous ne serez pas dépaysé ! Vous le voulez comment ?
— Dans une tasse, ça serait déjà bien !
— Noir, crème, serré, léger, déca ? De toute façon, je n’ai que du déca L’autre m’énerve ! Et après, je suis irascible !
— Ah, bon. Parce que là, vous êtes calme !?
— Cool et plus que cool ! Vous êtes de passage ou bien en location ?
— Pourquoi, le café sera meilleur dans le second cas ?
— Ça ne changera rien : il sera comme chez vous ! affirme le cafetier, posant la tasse sur une soucoupe et plaçant la petite cuillère sur la soucoupe.
Mr Brun © Mapomme

— Ne me dîtes pas ça avant que j’aie payé ! Pour répondre à votre question, j’ai loué la maison Casanova pour trois semaines !
— Ce n’est pas la maison Casanova : c’est la Casa Nova. La maison neuve, quoi ! Alors ce café ? Il est comment ?
— Effectivement, c’est comme chez moi ! Dégueulasse ! répond l’autre en posant la tasse. 
— Ah bon. Ça me rassure : j’avais peur de m’être trompé !
— La maison neuve ? Elle est toute en pierre !  Ils l’ont appelé comme ça pourquoi ?
— Parce qu’elle était neuve au début ! Il y a un siècle et demi !
— C’est la plus neuve des vieilles maisons, si je comprends bien ! ironise le client.
— Vous me l’enlevez de la bouche ! À propos, faites attention à la fosse septique ! Il faut mettre un produit chaque semaine et pas de javel dans les WC ! confie le cafetier, comme s’il venait de donner les plans du dernier avion furtif.
— Vous êtes sur écoute ? Vous n’avez pas peur que les Chinois nous piquent l’information ? Mais, comment ça, une fosse septique ?!! À l’Office de Tourisme, on nous avait dit que le village avait le tout-à-l’égout !!
— Ils ne vous ont pas menti : le village a bien le tout-à-l’égout depuis 40 ans ! Nous avons été les premiers du canton à l’avoir ! claironne le patron, tout fier.
— Dans ce cas, que voulez-vous que je fasse d’une fosse septique !? Vous avez failli me faire marcher…
— J’ai dit que le village avait le tout-à-l’égout ! murmure-t-il à nouveau, sur le ton du grand secret. Mais je n’ai pas dit tout le village ! Tout le village l’a, sauf la Casa Nova !
— Sauf ma maison ?! Et pourquoi ? Le propriétaire ne votait pas du bon côté ?
— La maison est à 50 mètres au-dessous du niveau de la station d’épuration. Remarquez… La commune avait proposé d’acheter un terrain un peu plus bas au propriétaire de la Casa Nova, mais il a refusé, en disant qu’il ne vendrait jamais un terrain familial, qu’il aurait l’impression de trahir ses ancêtres. Bref, vous n’avez pas de tout-à-l’égout !
Le projet des ronces © Mapomme

Le client réfléchit quelques secondes avant de poser la question qui tue :
— Sa famille l’avait depuis plusieurs siècles ?
— Son père l’avait acheté à mon grand-père. 
— Il avait un projet sans doute ? suggère le locataire de la “maison neuve“.
— Si laisser pousser les ronces est un projet, oui. Vous savez comment on appelle la Casa nova, pour rire ? Comme ça, entre nous, au village ?
— Non, mais je sens que je vais le savoir…
La maison des tapettes !
— Pourquoi, les propriétaires sont… ? Enfin vous comprenez !
— Justement, c’est pour ça que c’est drôle… Non !!
— Vous n’avez pas compris ?
— J’ai très bien compris ! Mais les propriétaires ne vont pas à la Gay Parade ! C’est à cause des rats !
— Des rats !!! sursaute le locataire. Vous plaisantez ?! Il y a des rats dans la maison ?!
Il n’y en a pas dans la maison, rassurez-vous ! Vous n’en verrez pas un seul de tout le jour ! C’est dans la ruine qui est à 50 mètres qu’ils se trouvent ! 
— J’ai eu peur, ce coup-ci !
— Vous avez remarqué que votre câble d’alimentation électrique passe par le bout de mur encore debout ?
— Je m’attends au pire ! confie le client aux fantômes des clients d’antan. Je pensais l’avoir déjà atteint avec le café, mais il y a eu la fosse septique ! Je vais de surprises en surprises !
Le soir, les rats viennent par le câble, et rentrent sous le toit ! Vous entendrez un peu le ramdam qu’ils font toute la nuit. Pas moyen de dormir !
Louis, si on passait des vacances à la campagne ? C’est idyllique, m’a dit mon épouse ! Et comme un idiot, j’ai répondu : Quelle idée charmante !
— Mais rassurez-vous : ce sont des rats des champs. Pas des rats d’égout !
— Oh, chic ! Des rats de bonne compagnie ! Encore heureux ! La seule maison qui n’est pas raccordée au tout-à-l’égout. Ça m’aurait fait mal qu’ils vinssent de là ! Pour le reste, pas de cafards, de termites, un aérodrome à proximité, ou une ligne de chemin de fer ?
Les premiers locataires avaient parsemé la maison de tapettes, d’où le nom ! Pour le reste, vous serez tranquille ! Quoique…


Le malheureux locataire se raidit, s’attendant à une nouvelle mauvaise nouvelle.
— Quoi encore ?! Des fantômes écossais, des inondations, des tremblements de terre ? Des météorites, une ancienne mine d’uranium ou un gisement d’arsenic ?
— Les voisins de l’étage du dessous !
— Pourquoi, ce sont les tambours du Bronx qui prennent leurs vacances ici ?
Non… Ce sont des Parisiens qui viennent chaque année depuis 10 ans ! Des gens vraiment comme ça ! indique-t-il avec le pouce en l’air, nouveau label de qualité.
Je subodore encore une chute sournoise ! confie à nouveau le client à un public imaginaire. Un non-dit ! Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais il adore laisser planer l’espoir, afin de mieux le crucifier en plein vol !
— Ils mangent toujours dehors, pour ne pas salir la cuisine ! Ils ne veulent pas perdre de temps à faire le ménage, pour mieux profiter des vacances !
— Ils mangent au restaurant tous les jours ? Et ils arrivent en klaxonnant à pas d’heure ?
Non… 60 repas au resto pour 6 personnes, il leur faudrait de sacrés moyens ! Ils cuisinent au barbecue à midi et le soir, tous les jours ! Sauf lorsqu’il pleut… Ils vont à la pizzeria ! Mais comme il ne pleut presque jamais…
Et pour manifester leur joie de pouvoir manger à l’air libre et pur, en voyant la nature immaculée, ils tirent des coups de feu en l’air, et il faut plonger pour éviter les balles perdues ?
Mais non ! Vous êtes un faux Lyonnais ! Vous devez avoir des ancêtres Marseillais pour exagérer tout ainsi ! Je vais finir par vous appeler Monsieur Brunvous savez le Lyonnais dans Marius ? Vous avez remarqué où se trouve la cheminée du barbecue ?
Je dois avouer que ce point a échappé à ma sagacité… Nous y voilà : après les passes, l’instant de la mise à mort ! Un sadique, je vous dis !
Sous les fenêtres de votre chambre et de votre salle à manger ! Tous les jours à midi et quelque chose, et le soir à 7 heures, il faut tout fermer, à cause de la fumée ! Mais ça ne dure qu’une vingtaine de minutes ! 
Ah, bon ! Ça va ! Il y a peut-être des moments de la journée où on peut profiter de la maison normalement ?! Vous allez voir, mes aïeux : c’est un sadique ! Il va encore rajouter quelque chose pour me pourrir les vacances !
Non, le reste du temps ça va ! Quoique… 
Qu’est-ce que je disais !
À partir du 15 août, c’est l’ouverture de la chasse !
Ils ne viennent pas chasser dans la maison ? Rassurez-moi : il n’y a pas de sangliers qui ont élu domicile dans les caves de la Casa Nova ?!!
Ô monsieur Brun !! Vous êtes parent avec Grossu Minutu ! Non, les sangliers ne viennent jamais là ! Il n’y a rien à bouffer pour eux ! Mais les chasseurs et les chiens passent sous vos fenêtres ! Du moins ceux qui font les voix !
Chasseurs © Mapomme

Le client sursaute à cette indication imprécise pour toute personne non initiée à la chasse :
Les voix ? Ce sont les Chœurs de l’Armée Rouge ?
Oui, c’est ça ! Avec Jean-Jacques Goldman pour chanter Rouge !
Voyant que son client ruminait, convaincu d’avoir fait la mauvaise affaire du siècle, il dit :
— Je vous explicationne : c’est une battue ! Ils crient et tirent des coups de feu en l’air, pour forcer le sanglier à aller vers les chasseurs qui sont en poste plus bas !
Ils vont nous réveiller vers sept heures ? Chronique d’un été gâché. Je suis déjà impatient de retourner à Vénissieux. Ses produits chimiques, ses cimenteries, sa pollution et ses bruits prévisibles ! Mon boss pour me casser les pieds ! Des choses sans surprises !
— À 7 heures ? Non… Vers 5 heures 1/2, s’ils ne sont pas trop impatients ! De toute façon, ils n’attrapent jamais rien ce jour-là ! Il fait trop chaud ! C’est juste pour marquer le coup !
Il n’y a pas d’autres festivités du genre ? demanda le locataire en se faisant un signe de croix.
— Maintenant que j’y pense : justement si ! Il y a la fête du village ! Mais, elle a lieu de l’autre côté du village ! C’est loin à vol d’oiseau !
Il y a sûrement un lézard ! Vous le connaissez mieux que moi : vous êtes de mon avis, non ?!
La nuit, on entend de loin, c’est vrai ! Et puis avec l’écho de la, vous ne pourrez pas fermer l’œil ! Remarquez, il y a une solution idéale !
Ah ! Des boules Quiès ? Faire exploser le transfo du coin ?
— Mieux : vous allez à la fête ! Ça vous évitera de vous tourner et retourner dans votre lit en vain !
C’est une idée ! soupire le malheureux. Même si je n’aime pas danser !
Remarquez, Marcel, - vous savez celui qui téléphonait lorsque vous êtes arrivé -, il louait toujours la Casa Nova à cette époque, chaque année ! C’est comme ça que je sais tous les petits pépins !
— J'aurais bien le connaître, avant de louer !
— Cette année, il a changé : il est venu le mois d’avant ! Il m’a expliqué qu’il regrettait de ne pas l’avoir fait plus tôt ! C’est mieux le mois d’avant ! Pas de chasse, pas de fête, pas de voisins au barbecue : un rêve !
Un cauchemar ! Je vous dois combien pour le café ?
Rien ! Le premier café, c’est toujours moi qui l’offre !
Merci… Et les suivants ?
Les gens ne sont pas fous ! La fois d’après, ils prennent un soda ou une eau ! Bref, une boisson où il y a moins de surprises… Ça n’est pas moi qui la fait !

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