On dit cependant que le village est beau, que la vue
est magnifique. Si demain vous me disiez que je suis beau (c’est un exemple, je vous rassure !), j’aurais beau me
détailler dans un miroir, je connais tellement ma gueule, que je serais
incapable d’y voir de la beauté, quand bien même elle s’y trouverait. Même les
topmodels parviennent à se trouver des défauts. Autrement dit, nous sommes
mauvais juges de ce que nous connaissons et aimons.
Il y a un point objectif (photographique) : on a choisi le village pour faire la
couverture d’un livre sur les villages de Corse. Il faut croire qu’il doit
avoir des charmes qui échappent à notre sagacité.
Marié à Miss Univers, finirais-je par ne plus voir
sa beauté, et en viendrais-je à la considérer comme un être humain, capable de
sentiments, voire de Raison (ceci pour
taquiner mes 7 cousines et ma presque-cousine).
Un père et son fils, après la chasse © Mapomme
Vous ne pouvez pas louper le village, puisqu’il
n’est pas indiqué sur les panneaux (comme
la plupart des communes) à l’intersection avec la nationale 198, dans la
plaine. Suivant une logique administrative qui lui est propre, et dont les
raisons échappent à la Raison, la DDE (l’ancien Bonze est chaussé) a décrété (dura lex, but sed lex s’écrient
les crétins du décret) que seules figurent sur les panneaux les communes
représentant la frontière cantonale de la route départementale qu’on emprunte
au taux légal. C’est d’une clarté crépusculaire.
Donc, le quidam candide qui ignore que Mon village
se situe avant le suivant (pour des
raisons inexplicables, ça doit représenter 98% des automobilistes de tout poil
circulant en été sur la route nationale. On comprend pourquoi a été inventé le
GPS), passe devant l’intersection, va trop loin, revient sur ses roues,
s’engage sans certitude, par badaud indicateur, sur une route cantonale, avant
d’arriver au panneau El Doradique de “MON VILLAGE“, pour peu que ledit
panneau n’ait pas pris, d’un chasseur revenu bredouille, une décharge
vengeresse qui ampute une partie du nom.
Si, malgré ces explication d’une limpidité à faire
pâlir de jalousie la plus pure des eaux de source, vous ne situez pas sur la
carte l’incomparable commune de ce village si typique, qui a eu la chance de ne
pas me voir naître (puisque j’ai suivi la
grande mode qui consistait à naître en ville, sans doute plus pour des raisons
de sécurité médicale que par snobisme), je vais vous donner quelques
précisions.

Prenez une carte (géographique, si possible. Avec une carte à jouer, bancaire, de crédit,
d’adhérent, à puce, du ciel, etc., la chose risque d’être compliquée. Si votre
carte est bien géographique, et non historique, assurez-vous qu’elle soit de
Corse : bizarrement, ça ne fonctionne qu’avec elle, sans qu’il soit
possible de l’expliquer), et tentez de situer Bastia, en haut, au pied du
Cap (et pas forcément de pied en cap).
Descendez par la Côte Orientale sur 64 kilomètres,
et parvenez au croisement. Si vous êtes talonné par un semi-remorque menaçant,
tournez d’un coup sec, à tout berzingue, sur deux roues s’il le faut, et
réfléchissez ensuite. Votre vie en dépend. Les chauffeurs des pays de l’Est ont
des impératifs de délai et des déficits de sommeil.
Sinon, à cet endroit, vous êtes au croisement, où le
nom du village n’est pas mentionné, ce qui ne le différencie en rien des autres
intersections. Vous prenez la route du village qui marque la limite du canton,
presqu’inhabité, proche du village-fantôme en hiver, et dont, sans ce panneau, nul
ne connaîtrait l’existence comateuse. Si vous évitez d’emprunter la bifurcation
menant à un village situé sur une autre départementale, vous aboutirez à
destination au bout de 10 kilomètres.
Là, vous comprendrez pourquoi mon village est le
village, et non Quiberon. D’abord, il n’y a pas de presqu’île, pas plus que
5197 habitants, pas de tentative de débarquement des Émigrés en 1795, donc pas
de 748 fusillés, et pas de baie, si ce n’est celle qu’on trouve sur les
épineux. Pas de thalassothérapie, mais une relaxothérapie estivale (belote,
pastis, dodo).
Vous verrez ce maquis couvrant les collines, surtout
celle de Monte Oppidum, qui partage
en deux la vue sur l’horizon marin. Tout respire la sérénité.
Racines © Mapomme
Âgée de peu d’années, avec une architecture qu’on
refuserait à tout particulier car jurant avec les pierres des maisons multi
centenaires, (les collectivités ne voient que rarement rejeter le permis de
construire des verrues alors qu’on ergote sur la balustre ou l’arcade en demi-cintre
pour un quidam, une merveilleuse mairie trône sur la place en enrobé, près de
la fontaine en grève estivale, à l’instar des compagnies de navigation de la
fin du XXème siècle.
Mais, mon village représente plus que des paysages et des
maisons en pierre, des églises et des fontaines, un belvédère, un barrage, des
chemins de randonnée et la photo du safari frénétique. Il possède une âme,
composée d’histoires et d’individualités fortes, avec leurs défauts et leurs
qualités.
La Méditerranée façonne des personnalités qui ne
peuvent qu’être démesurées souvent, passionnées et comiques, bien que parfois
agaçantes sur le moment, mais rarement dépourvues de couleurs. C’est bien pour
ça que j’y reviens sans cesse, telle la vague vers la falaise.
Les défauts les moins graves sont comme ces odeurs
des anciennes épiceries, avec des sacs de légumes secs, de planchers et
étagères un peu vermoulus : ils forment le parfum rassurant de l’enfance.
Les défauts majeurs sont semblables à des choses en décomposition :
l’odeur en est intolérable. Il faut peu de chose pour passer du plaisant à
l’incommodant.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire